Le vendredi 22 décembre, l’émission C à vous, présentée par Anne-Élisabeth Lemoine sur France 5, a une fois encore démontré sa capacité à naviguer entre légèreté et gravité. Ce programme, généralement associé à un ton convivial et à un esprit de divertissement, sait aussi se faire plus sérieux, incisif même, lorsque l’actualité ou les invités s’y prêtent.
On se souvient par exemple de la venue du président de la République, Emmanuel Macron, qui avait marqué un moment fort de l’émission. Cette capacité à recevoir des personnalités de tout horizon et à aborder des sujets de fond donne à C à vous une dimension particulière : celle d’un espace médiatique hybride, où le débat peut se mêler au sourire, et où l’humour côtoie l’interview politique.
Le 22 décembre, dans la pastille humoristique et critique baptisée zapping, insérée entre les deux parties de l’émission, c’est l’actrice Carole Bouquet qui a été visée. Ce segment, qui compile et détourne avec ironie des extraits d’actualité télévisée, s’est intéressé à la récente prise de position de la comédienne au sujet d’un dossier brûlant :
l’affaire Gérard Depardieu. L’acteur, figure emblématique du cinéma français, est depuis plusieurs années au centre de graves accusations : certaines femmes l’accusent d’agressions sexuelles, et il a également été mis en cause dans l’émission d’investigation Complément d’enquête sur France 2, qui a diffusé des témoignages et éléments à charge.
Carole Bouquet, qui a partagé la vie de Gérard Depardieu pendant près d’une décennie, a choisi de monter au créneau pour défendre celui qui fut son compagnon. Leur histoire d’amour, connue du grand public, avait marqué les années 1990, et les deux artistes étaient souvent apparus ensemble dans les médias.
Aujourd’hui, c’est au nom de cette relation passée mais aussi, semble-t-il, d’une loyauté personnelle et professionnelle, que l’actrice a pris la parole. Elle a déclaré croire en l’innocence de Depardieu, le présentant non pas comme un prédateur, mais comme un homme profondément humain, avec ses excès, certes, mais incapable selon elle des actes qui lui sont reprochés.
Cette défense vigoureuse, faite « bec et ongles », n’a pas été du goût de l’équipe de C à vous. Dans leur pastille de zapping, les auteurs ont souligné avec ironie l’angle choisi par Bouquet, tout en laissant entendre qu’il serait aujourd’hui difficile, voire problématique, de minimiser ou de balayer d’un revers de main la gravité des accusations portées contre Depardieu.
Anne-Élisabeth Lemoine et ses chroniqueurs ont semblé pencher pour une posture inverse : présenter Depardieu avant tout comme un homme mis en cause par de multiples témoignages concordants, et donc comme un prédateur présumé qu’il convient d’interroger de manière critique.
Le cas de Carole Bouquet illustre un phénomène récurrent dans les affaires de personnalités : lorsque l’accusé est une figure publique aimée ou admirée, ses proches, amis ou anciens compagnons sont souvent placés devant un dilemme : se taire, prendre leurs distances ou, au contraire, prendre publiquement sa défense.
Dans le cas présent, l’actrice a choisi la dernière option, en assumant pleinement son soutien. Ce positionnement a suscité de nombreuses réactions, allant de la compréhension (pour ceux qui estiment que la fidélité et l’attachement personnel peuvent primer) à l’indignation (pour ceux qui considèrent qu’une telle défense occulte la parole des victimes présumées et contribue à leur invisibilisation).
Le Complément d’enquête consacré à Gérard Depardieu avait marqué les esprits par la précision de ses investigations. L’émission avait recueilli des témoignages inédits, certains remontant à plusieurs décennies, décrivant des comportements jugés déplacés, parfois inacceptables, sur des plateaux de tournage ou en dehors.
Si l’acteur a toujours nié les accusations, la multiplication des récits a contribué à ternir son image, autrefois quasi intouchable. Dans ce contexte, toute prise de position publique en sa faveur attire l’attention et peut être perçue comme un acte de provocation ou, au minimum, de controverse.
La séquence diffusée dans C à vous a ainsi eu un double effet : elle a rappelé que l’émission n’hésite pas à se saisir de sujets sensibles, même à travers un prisme humoristique, et elle a alimenté le débat autour de la responsabilité des personnalités publiques face aux accusations graves visant leurs proches. Faut-il les soutenir par fidélité ?
Faut-il au contraire adopter une prudence publique, afin de ne pas heurter la parole des plaignantes ? La réponse varie selon les convictions personnelles, mais aussi selon la place qu’on accorde à la présomption d’innocence et à la présomption de sincérité des victimes présumées.
En prenant position, Carole Bouquet s’est exposée aux critiques. Certains y voient une réaction de cœur, dictée par l’histoire partagée avec Depardieu ; d’autres y lisent une forme de déni, ou une incapacité à envisager que quelqu’un qu’elle a aimé puisse être coupable de tels actes.
De leur côté, Anne-Élisabeth Lemoine et son équipe ont choisi d’exprimer, par le biais du zapping, une vision opposée : celle qui part du principe qu’il est nécessaire de regarder les accusations de face, sans les minimiser, surtout dans un contexte où les rapports de force et de pouvoir dans le monde du cinéma peuvent faciliter les abus.
Cette divergence illustre bien le rôle des médias dans la perception des affaires publiques. Les talk-shows et magazines télévisés ne se contentent pas de relater les faits ; ils orientent aussi, consciemment ou non, l’opinion de leur public en choisissant un ton, un angle, un montage. Dans le cas présent, l’humour et la satire du zapping ont servi à mettre en lumière la tension entre deux visions : la fidélité affective et la rigueur éthique face à des accusations.
Au-delà du cas Depardieu, cette séquence soulève des questions plus larges sur la place du témoignage des proches dans les affaires médiatisées, sur l’impact de ces prises de parole et sur la manière dont elles influencent, ou brouillent, le débat public. Elle interroge aussi la frontière entre la vie privée et la responsabilité publique : jusqu’où peut-on ou doit-on défendre quelqu’un, lorsque des faits graves lui sont reprochés ? Et comment les médias doivent-ils traiter ces voix discordantes ?
En fin de compte, l’épisode du 22 décembre aura rappelé que C à vous, au-delà de ses recettes, de ses rires et de ses dîners partagés à l’écran, reste un lieu où se croisent actualité, humour et débat d’idées. Un espace où l’on peut recevoir le chef de l’État comme pointer, avec un clin d’œil critique, la défense controversée d’une actrice envers un acteur au centre d’une tempête médiatique et judiciaire.