L’affaire Jean Pormanov : quand le divertissement bascule dans la maltraitance en ligne
Depuis plusieurs semaines, un drame secoue la sphère du streaming français et soulève des débats sur les limites de ce que l’on peut considérer comme du « divertissement ». Jean Pormanov, streamer connu sur la plateforme Kick, est décédé en plein direct après avoir subi, des mois durant, humiliations, harcèlement et violences au sein d’un concept présenté comme du « spectacle ». Son décès tragique met en lumière une réalité glaçante : l’exploitation d’êtres humains pour générer du buzz et de l’argent, au mépris de leur santé physique et psychologique.
Un décès en direct : le choc de la communauté
C’est en plein marathon de streaming, au dixième jour de diffusion continue, que Jean Pormanov s’est effondré sous les yeux des spectateurs. Les images, largement partagées sur les réseaux sociaux, témoignent d’un malaise profond. D’abord reçues comme un « incident dramatique », elles révèlent, à mesure que l’on enquête, un enchaînement de maltraitances qui auraient contribué à ce dénouement fatal.
Pour de nombreux internautes, il est insupportable que les derniers instants d’un homme aient été transformés en contenu viral. D’autres s’interrogent : comment a-t-on pu en arriver là, sans que personne n’intervienne plus tôt ?
Le « local » : un concept toxique
À l’origine, la chaîne Kick où officiait Jean Pormanov était dédiée au jeu vidéo. Mais très vite, le concept a dérivé vers une forme de télé-réalité en ligne, où les animateurs principaux, Owen, Safine et « Trois Cheveux », mettaient en scène insultes, défis dégradants et violences. L’objectif affiché : « pousser les limites », « mettre tout le monde à bout ».
En théorie, les participants devaient se provoquer mutuellement. En pratique, une constante revenait : c’était toujours Jean Pormanov qui servait de souffre-douleur. Qu’il s’agisse de coups, d’insultes ou d’humiliations, il se retrouvait systématiquement au centre des attaques. À ses côtés, un autre homme, Koudou, souffrait également de ce système. Handicapé, ancien fan intégré au groupe, il a lui aussi été la cible de brimades répétées.
Harcèlement collectif et pression du public
Ce qui rend l’affaire encore plus dérangeante, c’est la participation indirecte des spectateurs. Sur Kick, les dons envoyés aux streamers pouvaient s’accompagner de messages lus en direct. Ces dons sont rapidement devenus des vecteurs de haine : insultes, moqueries, attaques personnelles.
Certains spectateurs allaient jusqu’à divulguer des informations privées : nom de la mère de Jean, ancien emploi, adresse, ville d’origine… Un véritable doxxing orchestré en public, sans filtre. Chaque insulte rapportait de l’argent aux organisateurs, qui n’avaient aucun intérêt à stopper l’engrenage.
Une mécanique infernale
Le marathon de dix jours a poussé la logique à son paroxysme. Pour obtenir une cigarette, pour avoir le droit de dormir ou même simplement se reposer, Jean devait réaliser des défis absurdes. Lui refuser des besoins élémentaires, en le conditionnant à des humiliations ou des épreuves, faisait partie intégrante du « spectacle ».
Ce harcèlement psychologique, ajouté aux coups physiques, a fini par épuiser un homme déjà fragilisé. Âgé d’une quinzaine d’années de plus que ses bourreaux, Jean ne pouvait rivaliser. Son corps n’a pas résisté : son cœur a lâché, comme l’ont expliqué les témoins de la scène.
Le parallèle avec l’histoire personnelle de certains proches est frappant : comme un ouvrier épuisé après des travaux trop lourds, Jean Pormanov a succombé à une pression constante sur son rythme cardiaque.
Des signaux ignorés
Ce n’est pas la première fois que des alertes avaient été lancées. Mediapart avait déjà enquêté sur le « local » et dénoncé un véritable système de maltraitance en ligne. Mais l’affaire n’avait pas eu le retentissement espéré : après une brève pause, Jean et Koudou avaient repris leur place devant les caméras, donnant l’impression que tout allait bien.
Cette réintégration a brouillé les pistes. Pour beaucoup, si les principaux intéressés revenaient d’eux-mêmes, c’est qu’ils « consentaient » au jeu. Mais la réalité est plus complexe : menaces de se retrouver à la rue, dépendance financière, pression psychologique… Autant de facteurs qui expliquent pourquoi des victimes retournent parfois dans un environnement toxique.
Le rôle de l’argent
Au cœur de ce drame, l’argent joue un rôle central. Kick rémunère généreusement les créateurs de contenus, et le format du « local » attirait des milliers de spectateurs. Chaque humiliation, chaque insulte, chaque coup représentait une opportunité de générer des revenus.
Pour Jean et Koudou, malgré la souffrance, c’était aussi une source de subsistance. Quitter le local, c’était risquer de tout perdre : logement, communauté, revenus. Rester, c’était accepter l’inacceptable pour survivre.
Les organisateurs, eux, profitaient largement de cette manne, fermant les yeux sur les conséquences humaines.
Une indignation publique croissante
Depuis l’annonce du décès, les réactions se multiplient. Certains streamers ou influenceurs, proches du milieu, se disent choqués. D’autres dénoncent l’hypocrisie de ceux qui, après avoir profité du système, osent aujourd’hui afficher leur compassion.
Un commentaire publié sous la photo d’Owen annonçant la mort de Jean a particulièrement fait réagir : jugé « culotté » d’exprimer du chagrin après avoir participé à son calvaire. Cette polémique illustre le malaise général : peut-on pleurer une victime quand on a contribué à la faire souffrir ?
Une responsabilité collective
Au-delà des trois figures visibles (Owen, Safine, Trois Cheveux), d’autres acteurs sont impliqués : les personnes en coulisses, celles qui géraient la logistique du local, et surtout les spectateurs. Car sans public, sans dons, sans clics, ce système n’aurait pas pu exister.
Le décès de Jean Pormanov nous oblige à regarder en face notre propre consommation de contenus en ligne. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour nous divertir ? Que cautionne-t-on lorsque l’on rit d’une humiliation en direct ?
Vers une prise de conscience ?
Ce drame pourrait marquer un tournant. De plus en plus de voix s’élèvent pour demander une régulation stricte des plateformes de streaming et des sanctions envers ceux qui exploitent la souffrance humaine. Certains espèrent que la justice s’emparera de l’affaire et que des comptes seront enfin rendus.
Mais la bataille est loin d’être gagnée. Car tant que l’argent circule et que l’audience suit, les incitations à reproduire ce type de contenu restent fortes.
Conclusion : ne pas fermer les yeux
Jean Pormanov n’était pas un personnage fictif, mais un homme, un ancien militaire, un ami, un fils. Son décès en direct nous rappelle brutalement qu’il y a des vies derrière les écrans.
Ce qui s’est joué dans ce local dépasse le simple cadre du divertissement : c’est l’histoire d’un système qui a instrumentalisé la vulnérabilité d’un homme pour générer du profit et du buzz. Aujourd’hui, il est urgent de réfléchir aux limites, de protéger les plus fragiles et de rappeler une vérité simple : aucun clic, aucun don, aucun spectacle ne justifie la maltraitance humaine.
Que justice soit faite pour Jean, et que ce drame serve enfin de leçon pour l’avenir.