Pour comprendre le phénomène Sébastien, il faut retrouver la trace de Patrick, ce gamin de Juillac, petit village corrézien. Rejeté par son père et élevé par sa mère, Dédée, sa grand-mère et ses tantes, le petit Patrick s’est forgé un sacré caractère avant de partir tenter sa chance à Paris. Voici le premier volet de notre série consacrée à l’enfance de stars du centre de la France.
“Tu en rêvais. Tu vas pas avoir peur maintenant.” Voilà ce que dit le petit Patrick en tenant la main du grand dans l’ombre des coulisses, juste avant de monter sur scène. C’est le “truc anti-trac” de Patrick Sébastien, encore aujourd’hui, plus de cinquante ans après avoir pris le train pour Paris à la gare de Brive, “avec une valise et 600 balles” pour tenter sa chance à la capitale. C’était le 23 septembre 1974.
Ce petit Patrick, “ce gamin, il me suit partout”, confie l’animateur depuis son refuge de Martel (Lot). Et pour comprendre le phénomène Sébastien qui, à 71 ans, cumule des dizaines de millions de vues sur la toile grâce à ses chansons olé olé, a produit et animé des dizaines d’émissions de télé dont certaines ont bercé les samedis soirs de plusieurs générations, a joué dans des films et des téléfilms, a écrit une quinzaine de livres… on est parti à la recherche de “ce gamin”, un gamin de Corrèze nommé Patrick Boutot.
Un grand-père boulanger et des “femmes de courage”
Le parfum du pain tout juste sorti du four le transporte en une seconde à Juillac, un peu plus de 1.000 habitants, au nord est de Brive, où son “grand-père était boulanger. Je me souviens de le suivre dans ses tournées, petit.” Son grand-père, le seul homme de son entourage familial. “Je vivais entre ma grand-mère qui avait cinq filles dont ma mère que tout le monde appelait Dédée. Des femmes de courage. Ma mère faisait Juillac-Objat (une dizaine de kilomètres, N.D.L.R.) à vélo tous les jours pour aller travailler.” Nous sommes dans les années 1950.
Des chemises bleues comme le ciel de son enfance
Sa tante Mimi, 85 ans, vit toujours en Corrèze. “Patrick, je ne le vois pas comme une vedette. C’est mon neveu, c’est comme mon fils.” Il marchait à neuf mois, “il était dégourdi. Un jour, on l’avait perdu et on l’a retrouvé dans l’église en pleine messe.”
La maison familiale à la façade gris clair se dresse au cœur du bourg, à deux pas de l’imposant édifice. Elle appartient désormais à d’autres Juillacois mais sur une plaque, on peut lire : “Dans cette maison j’ai fait mes premiers pas et vécu mes plus belles années.” Signé : Patrick Boutot. La boulangerie du grand-père, de l’autre côté de la rue, tourne toujours.”La fête du village, la rivière, les arbres, les bals, ma petite école, les premiers Noëls où t’avais que dalle et c’était bien. À chaque fois, qu’il y avait un repas, c’était la fête.” Pour Patrick Sébastien, “les plus belles années de [sa] vie”, répète-t-il. Tellement belles qu’il trouve même que le ciel avait un bleu plus intense qu’aujourd’hui. “C’est pour ça les chemises bleues.”
Ce jour-là, à Martel, il en porte une à fleurs sur un bleu roi lumineux. Des dizaines, similaires, dorment sur un portant en bas de l’escalier. “On mangeait bio, ça ne coûtait rien. J’ai goûté mon premier yaourt à 12 ou 13 ans, pris des antibiotiques pour la première fois à 17 ans. On n’avait pas besoin de tout ce dont on dit avoir besoin aujourd’hui.”
“J’étais bâtard”
Pourtant, il y a une ombre au tableau. “J’étais bâtard. Mon père ne m’a jamais reconnu. Et je ne savais pas qui c’était. C’était compliqué à l’époque quand on était bâtard. On te met à part… Les gosses à l’école, tu sais…” Très vite, le petit Patrick comprend qu’il n’est pas tout à fait comme les autres. Alors, il “s’invente plein de choses”. Sur la place du village, les premiers téléviseurs sont en vitrine d’un petit magasin d’électroménager appelé “Radiola”, qui a été détruit aujourd’hui et remplacé par un jardin.
“Il y avait un banc devant. On s’asseyait, même l’hiver, et on regardait la télé sans le son et on s’imaginait être dedans.”
À 7 ans, il quitte Juillac pour Tulle, puis Argentat. “Dans l’appartement où nous vivions, j’écoutais La Piste aux étoiles, la tête collée au mur de mon voisin. Lui avait une télé. Pas nous.” Il y découvre Guy Lux, les Carpentier, Johnny Hallyday qu’il croisera tous en vrai quelques années plus tard. “Ce sont devenus des potes. Je vivais un rêve.” Mais le petit Patrick est très loin de l’imaginer. “J’ai grandi dans un vrai roman de Pagnol. La vie était très dure. On ne faisait pas de burn-out, on n’avait pas le temps. Il n’y avait pas de pont du 1er mai. Ça bossait.” Aujourd’hui, Patrick Sébastien ne prend jamais de vacances. “Je déteste ça.”
Il se marie à 16 ans, devient père à 17
À 12 ans, il emménage à Brive, commence à jouer au rugby au CAB. Troisième ligne. “Je faisais aussi du théâtre au foyer culturel. À l’école, je bossais. Je savais que c’était la seule façon de m’en sortir. J’ai eu 17 au bac de français, à l’oral et à l’écrit.” Il est à Cabanis où sont rassemblés les garçons de son âge. “À d’Arsonval, c’était les filles.” Ah les filles ! Tout un monde pour le jeune Patrick. Il se marie, pour la première fois, à 16 ans, devient père à 17. “Ça ne le faisait pas d’être marié et père à cet âge-là. Je me suis fait virer de Cabanis. J’ai passé mon bac en candidat libre.”
Et pendant les vacances, il fait une ribambelle de petits boulots : “J’ai repeint Bossuet (un établissement scolaire N.D.L.R.), j’ai fait des déménagements, j’ai été massicotier dans une imprimerie avenue de Bordeaux… Des métiers qui m’ont appris le courage”, raconte-t-il. Un jour, il repeint des radiateurs. Un ouvrier portugais qui travaille avec lui, lui fait remarquer qu’il n’a pas fait le coude “que personne ne voit. Il m’a dit : “tu vas le faire, mais tu ne vas pas le faire pour le patron, tu vas le faire pour toi. Si tu ne finis pas ton travail, tu ne finiras pas ta vie”.” Une remarque qui l’a marqué. “J’ai toujours été perfectionniste, estime-t-il. Je regardais tout, tout le temps. Y’a pas de secret et ça fait cinquante ans que ça dure.”
Après le bac, il intègre la fac de lettres à Limoges tout en travaillant comme “pion” au lycée horticole de Voutezac. Dans la cité gaillarde, sa mère tient Le Turenne, un snack-bar, avenue Alsace-Lorraine. “De très belles années aussi…”, glisse-t-il.
La tournée en Afrique du Sud et les imitations de Bourvil
Fin mai 1973, il s’envole avec le CAB pour l’Afrique du Sud. “Pour la plupart, on ne savait pas où on mettait les pieds, confiait le deuxième ligne aujourd’hui décédé, Jean-Claude Rossignol, en 2013. Pour nous, c’était un peu le Pérou.” Une tournée mémorable dans l’hémisphère sud dont Patrick Sébastien se souvient comme si c’était hier. “À l’époque, on n’avait pas de portables ou de casques sur les oreilles. On partageait tout, tout le temps”, expliquait aussi Jacques Coq. Et avec ses coéquipiers Jean-Pierre Dalès, Michel Yachvili ou encore Roger Fite, Patrick Sébastien partage, entre autres, ses premières imitations. Bourvil surtout.
Tempête amoureuse
Bourvil aussi qu’il imitera sur la scène d’un radiocrochet sur la Guierle, à Brive. Sa toute première scène. Poussé par une tempête amoureuse, il veut prendre sa revanche encore et toujours. “S’il faut monter sur scène pour avoir les nanas des autres, j’y vais”, avait-il lancé à l’époque sans en dire davantage sur cette histoire de cœur. La scène, “le seul truc honnête”, à laquelle il prend goût.
Même s’il signe pour jouer au rugby à Aurillac pour la saison 1974, Patrick Boutot choisit de prendre le train en gare de Brive pour Paris, ce fameux 23 septembre. “Ma mère m’a dit quelque chose de très important avant de monter dans le train : “j’ai confiance en toi”.” Armé de cette confiance à toute épreuve, il part tenter sa chance à la capitale. “J’ai passé deux ans dans huit mètres carrés avec un robinet d’eau froide et des chiottes sur le palier. Mais on ne se plaignait jamais.”
Avec cette devise en tête : “Il y a peu d’impossible à qui le veut vraiment”, Patrick Boutot devient Patrick Sébastien et fait la carrière qu’on lui connaît. “Si je n’avais pas connu ce rejet gamin, je n’en serais pas là.”