L’ombre d’un génie
Jacques Martin, né le 22 juin 1933 à Lyon, est avant tout un artiste complet : comédien, imitateur, chanteur, animateur et producteur. Issu d’une famille de grands cuisiniers (son grand-père fut chef auprès du tsar Nicolas II) il se forme dès son adolescence auprès de Charles Dullin puis gravit les premières marches du monde du spectacle à Paris avant de se tourner vers la télévision
Il débute à Télé-Strasbourg – sous le pseudonyme Ducerf – avec Pas très show, puis fait irruption à l’ORTF au sein de l’émission satirique 1=3 avec Jean Yanne. C’est là aussi qu’il crée les premières étincelles de son humour caustique
L’empereur du dimanche après-midi
Son véritable triomphe arrive avec Le Petit Rapporteur (1975-1976), émission satirique et innovante, où il incarne à la fois animateur et rédacteur-en-chef, aux côtés de Pierre Bonte, Pierre Desproges, Daniel Prévost et Stéphane Collaro. Audacieux, impertinent, le ton décalé lui vaut autant d’admirateurs que de critiques, et l’émission sera arrêtée au bout de dix-huit mois
En 1980, Jacques Martin inaugure le légendaire Dimanche Martin, véritable après-midi télé dominical sur Antenne 2 puis France 2. C’est dans ce cadre qu’il créé L’École des Fans (1977-1998), Ainsi font… font… font, Sous vos applaudissements, Thé dansant, Le Monde est à vous, etc. L’audience explose : jusqu’à 72 % de parts de marché, soit 27 millions de téléspectateurs
Il a également été l’un des découvreurs de talents durables, parmi lesquels Laurent Ruquier, Laurent Gerra, Pierre Desproges, Stéphane Collaro
Une vie passionnée mais difficile
Son parcours se teinte de complexité : impertinent, attachant, sensible. Danièle Evenou, sa compagne et mère de deux de ses enfants, le décrit comme un artiste brillant… mais aussi un homme “à fleur de peau” . Beaucoup soulignent qu’il cherchait constamment l’amour du public, parfois plus que son propre équilibre
En 1998, son destin bascule à l’annonce de la fin de Dimanche Martin. Il subit un AVC, devenant partiellement paralysé. Jean-Claude Brialy le remplace jusqu’à la fin de la saison, mais les émissions s’arrêtent définitivement
Son fils David Martin évoque l’annonce brutale d’un dirigeant de chaîne qui lui aurait reproché son âge, ses cheveux blancs, ses dents jaunes… un choc émotionnel douloureux
Les jours silencieux à Biarritz
En novembre 2006, il choisit de se retirer à l’Hôtel du Palais à Biarritz, face à l’océan, fuyant les regards, sa santé se détériorant sous l’effet d’un cancer généralisé
Un peu plus tôt, Pierre Bonte lui rend visite contre toute attente. Il décrit ce face-à-face comme un électrochoc : Jacques Martin, en chaise roulante, à la maigreur extrême, ne disait mot. “Il faisait pitié”, confie Bonte
Le 14 septembre 2007, à tout juste 74 ans, il s’éteint dans ce lieu qui l’avait accueilli pendant ses derniers instants
Un adieu national
Le jour de son décès, l’ensemble des médias bouleverse leur programmation pour lui rendre hommage . Ses obsèques, le 20 septembre 2007 à Lyon, à la primatiale Saint-Jean, rassemblent personnalités politiques et du spectacle : Cécilia Sarkozy, Rachida Dati, Christine Albanel, Gérard Collomb, Patrick de Carolis, Stéphane Collaro, Pierre Bonte, Danièle Gilbert, Laurent Gerra, Piem, Chantal Goya, Enrico Macias, Paul Bocuse… autant de figures marquées par son parcours. Il repose au cimetière de la Guillotière à Lyon, auprès de ses parents .
Un héritage vivant
Jacques Martin laisse un héritage colossal : une manière d’inventer des formats télévisuels, de révéler des talents et surtout une façon de concilier la culture, la sensibilité et la dérision à la télévision. Danièle Gilbert le résume magnifiquement :
C’était la personne la plus douée que je n’ai jamais rencontrée dans ma vie… Quand quelqu’un a créé L’École des Fans… on ne peut que dire : Chapeau ! .
Conclusion
Avec son ironie délicate, sa créativité sans bornes, son sens du spectacle et sa fragilité humaine, Jacques Martin a incarné une forme de grandeur télévisuelle. Il restera l’animateur du dimanche — celui que l’on attendait, pour rire, pour rêver, pour voir des enfants chanter, pour vivre ensemble un moment léger et sensible. Et même après son départ, il demeure, dans le souvenir de millions de téléspectateurs, l’âme d’un dimanche ensoleillé.