Alain Delon : un an après sa disparition, l’héritage du “guépard” menacé par la tempête Ari Boulogne

Le 18 août 2024, le rideau tombait sur l’une des plus grandes légendes du cinéma français. Alain Delon, monstre sacré et visage éternel du Guépard, s’éteignait à 88 ans dans sa propriété de Douchy, dans le Loiret. Un an plus tard, l’heure est aux hommages. La petite commune prépare un événement à la hauteur de l’icône : un stade portera désormais son nom et un documentaire retraçant sa carrière sera projeté, comme un dernier salut au public qui l’a tant admiré.

Mais derrière cette image solennelle et émouvante se cache un tout autre décor : celui d’un feuilleton familial et judiciaire où se mêlent rancunes anciennes, querelles d’héritage et une bataille posthume autour de la filiation d’Ari Boulogne.

Une famille sous tension

Les trois enfants officiellement reconnus par Alain Delon — Anthony, Anouchka et Alain-Fabien — peinent à afficher un front uni depuis plusieurs années. Les tensions, parfois étalées sur la place publique, se nourrissent de griefs personnels et de procédures croisées.
Entre accusations de dissimulation d’informations médicales, plaintes pour diffamation, atteinte à la vie privée et soupçons d’abus de faiblesse, le clan Delon vit une guerre froide ponctuée d’éclats médiatiques.

Le testament de l’acteur, pourtant limpide sur le papier, n’a pas suffi à apaiser les esprits. Selon ses volontés, 75 % de la succession revient à ses trois enfants, partagés à parts égales, et 25 % sont destinés exclusivement à sa fille Anouchka. Un choix qui s’explique par le fait que le droit moral sur l’ensemble de l’œuvre de Delon lui est également confié. Ce pouvoir symbolique — décider comment et quand l’image et le travail de son père pourront être exploités — attise, de l’avis de certains proches, de profondes jalousies.

Ari Boulogne, l’ombre qui plane sur la succession

Au cœur des débats, une autre affaire menace de rebattre toutes les cartes : la reconnaissance en paternité d’Ari Boulogne, photographe décédé en mai 2023 et fils présumé d’Alain Delon, né d’une liaison supposée avec la chanteuse allemande Nico dans les années 1960.

De son vivant, Ari Boulogne avait déjà tenté, à plusieurs reprises, d’obtenir la reconnaissance officielle de cette filiation. Toutes ses démarches s’étaient soldées par un échec, en raison notamment de la complexité juridique du dossier — mêlant droit français et droit allemand — et du refus d’Alain Delon de se soumettre à un test ADN.

Aujourd’hui, c’est Charles Boulogne, le fils d’Ari, qui a repris le flambeau. Soutenu par son avocat, il demande à la cour d’appel de Poitiers de reconnaître officiellement son père comme l’enfant naturel d’Alain Delon. L’enjeu est de taille : si la justice lui donne raison, les 75 % de la succession réservés aux descendants seraient répartis en quatre parts égales et non plus en trois. Chaque héritier officiel verrait donc sa part diminuer.

Un verdict attendu le 25 septembre

La cour d’appel de Poitiers doit rendre sa décision le 25 septembre prochain. Pour trancher, les magistrats pourraient s’appuyer sur des témoignages, des documents d’époque, voire sur des expertises ADN. Reste que, pour obtenir un tel test aujourd’hui, il faudrait l’accord des enfants Delon — ce qui semble peu probable, tant la famille se montre réticente à raviver ce dossier.

Pour Charles Boulogne, l’enjeu dépasse toutefois la seule question financière. Dans ses déclarations, il affirme rechercher avant tout une reconnaissance humaine pour son père, longtemps rejeté par celui qu’il considérait comme son géniteur. « Ce n’est pas seulement une question d’argent, c’est aussi une question de vérité », a-t-il confié à ses proches.

Héritage bloqué et rancunes tenaces

En attendant, la succession, estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros, reste en suspens. Les tensions internes, doublées de cette bataille judiciaire, empêchent toute liquidation définitive du patrimoine.

Anthony Delon a publiquement déclaré vouloir “tourner la page”, laissant entendre qu’il n’avait aucune envie de prolonger les polémiques. Mais d’autres membres de la fratrie se montrent moins enclins à enterrer les rancunes. Alain-Fabien, plus discret, n’en reste pas moins attentif à l’évolution des procédures. Quant à Anouchka, elle se retrouve au centre des discussions en raison de la clause testamentaire lui octroyant le droit moral sur l’œuvre de son père, ce qui la place dans une position stratégique mais aussi exposée.

Un hommage sous tension

Pendant que les juristes s’activent, Douchy prépare un hommage sobre mais symbolique. Le baptême du stade au nom d’Alain Delon sera accompagné d’une projection documentaire, rappelant ses débuts fulgurants, ses rôles mythiques et cette aura unique qui l’a suivi toute sa vie.

Pour les habitants, il s’agit avant tout de saluer l’artiste qui, au-delà des polémiques, restera pour toujours une figure majeure du cinéma français. Pourtant, même dans ce moment de recueillement, difficile d’ignorer que l’héritage matériel et symbolique de Delon est au centre d’une bataille qui pourrait bien s’intensifier après le verdict de Poitiers.

La postérité en jeu

Si la cour reconnaît la filiation d’Ari Boulogne, le paysage de la succession changera radicalement. Mais au-delà des chiffres et des pourcentages, c’est aussi l’histoire d’Alain Delon qui se réécrira. Cette reconnaissance viendrait ajouter un chapitre inattendu à une vie déjà marquée par les triomphes artistiques, les controverses médiatiques et les mystères personnels.

Pour les enfants Delon, cette perspective est vécue comme une intrusion posthume dans la mémoire et l’héritage de leur père. Pour Charles Boulogne, c’est la dernière chance d’obtenir justice pour son père et, peut-être, de refermer une blessure familiale vieille de plusieurs décennies.

Une fin de partie loin d’être jouée

À un an de sa disparition, Alain Delon continue de faire la une, mais cette fois non pas pour un nouveau film ou une déclaration choc, mais pour un procès qui pourrait redessiner sa postérité. Ce paradoxe résume bien le destin de l’acteur : aimé, admiré, mais aussi controversé, il laisse derrière lui un héritage autant artistique que conflictuel.

Le 25 septembre, la France saura si l’histoire d’Alain Delon s’achève comme un drame familial à la manière de ses films noirs… ou si elle s’ouvre sur une page totalement inattendue. En attendant, sous les projecteurs du stade qui portera son nom, l’ombre d’Ari Boulogne continuera de planer.