Pierre Perret : la mort de sa fille Julie a fait exploser sa famille en milles morceaux. Il s’est étranglé en partageant son chagrin.

Dans le paysage musical français, rares sont les artistes qui, comme Pierre Perret, semblent défier le temps. Quand on le croise, il paraît en avoir 75, et pourtant sa carte d’identité dit bientôt 90. L’auteur de Lily, de La cage aux oiseaux et tant d’autres chansons à texte fait partie de ces monuments vivants que l’on croit immortels. Mais derrière l’image joviale, derrière ses anecdotes savoureuses et son humour si reconnaissable, se cache un destin marqué par un drame irréparable et une fracture familiale profonde.

L’énigme Perret : un homme intemporel

Depuis plus de soixante ans, Pierre Perret s’est imposé comme l’un des piliers de la chanson française. Son style inimitable, mêlant tendresse, humour et poésie populaire, a conquis plusieurs générations. Ses textes, souvent engagés mais toujours accessibles, font désormais partie du patrimoine musical de France.

Pourtant, au-delà de la scène, Perret a su préserver une part de mystère. Peu d’informations ont filtré sur sa vie privée, et quand elles apparaissent, elles révèlent une existence marquée par autant de triomphes que de cicatrices.

Une rencontre, un mariage, trois enfants

En 1962, il épouse Simone Mazaltarim, qu’il rebaptisera plus tard Rebecca. De cette union naissent trois enfants : les jumeaux Anne et Alain la même année, puis, en 1963, Julie, la benjamine. Le couple semble alors incarner le bonheur discret, loin des tumultes du show-business. Mais derrière cette façade paisible se prépare un cataclysme.

1995 : l’été du drame

En juillet 1995, l’impensable survient : Julie, la petite dernière, décède à seulement 32 ans. Une tragédie absolue, une plaie béante qui ne cicatrisera jamais. Dans son autobiographie Café du Pont (2005), Pierre Perret l’évoquera brièvement, décrivant cette perte comme « la pire des choses qui puisse arriver dans l’existence de quelqu’un ».

Invité en 2013 par Alexandra Sublet, il lâchera à nouveau quelques mots, la gorge serrée : « Quand une telle chose arrive, elle reste toujours omniprésente. On n’a pas envie d’en parler. » Ce sera l’une des très rares fois où il s’exprimera ouvertement sur le sujet.

Survivre à l’insupportable

Comment surmonter un tel séisme ? Pour Pierre et Rebecca, la douleur est insurmontable. Mais comme tant de parents confrontés à la perte d’un enfant, ils ont dû continuer à vivre. Perret, fidèle à son humour un brin noir, confiera des années plus tard : « Pourvu que je finisse l’année… Ça m’emmerderait de mourir en octobre, j’ai encore plein de projets. » Derrière la blague, l’ombre de la mort plane, obsédante.

Il avouera même, en 2021 : « Chaque matin, je me lève et je me touche pour vérifier que je suis encore vivant. Déjà à 15 ans, je me disais : ‘Merde, tu n’es pas passé sous un train !’ » Une lucidité brutale, presque provocante, mais qui illustre la manière dont il a apprivoisé l’idée de la finitude.

Une famille brisée

Mais le drame de 1995 ne sera pas le seul à marquer le clan Perret. Car si la douleur aurait pu rapprocher les membres de la famille, elle semble au contraire avoir accentué les fissures déjà présentes.

Dans plusieurs interviews, Pierre Perret a reconnu que ses enfants ne lui ont jamais pardonné son absence, lui reprochant d’avoir sacrifié sa présence paternelle à sa carrière artistique. « Je ne sais même pas si j’ai des petits-enfants », avouera-t-il un jour, presque résigné. Des mots glaçants, révélateurs d’un fossé impossible à combler.

Comme souvent dans les familles touchées par un drame, le chagrin a pris des chemins divergents. Là où Perret a cherché refuge dans son travail, ses enfants ont perçu un abandon. La rupture semble aujourd’hui définitive.

L’impossible conciliation entre carrière et cocon

L’histoire de Pierre Perret illustre une réalité cruelle : il est extrêmement difficile de bâtir une carrière publique flamboyante tout en préservant l’équilibre d’un foyer. Les tournées, les enregistrements, la notoriété, tout cela laisse des traces sur les proches, surtout sur des enfants en quête d’attention.

Perret, lui, a privilégié la scène, ses chansons, son public. Ce choix – conscient ou subi – l’a hissé au rang d’icône, mais il lui a coûté son rôle de père. Aujourd’hui, l’homme semble en avoir conscience, mais trop tard.

Un artiste lucide face à la mort

À bientôt 90 ans, Pierre Perret aborde la fin de sa vie avec une franchise désarmante. « Le plus grand fléau d’une vie, c’est la lucidité », lâche-t-il avec son franc-parler habituel. Lucidité sur sa carrière, sur la mort, mais aussi sur ses échecs intimes.

Il sait qu’il partira probablement fâché avec une partie de sa famille, et il ne cherche pas à maquiller cette réalité. Pour certains, c’est une tragédie supplémentaire. Pour lui, c’est peut-être une façon de rester fidèle à son personnage : un homme entier, qui dit les choses telles qu’elles sont, sans détour.

L’héritage d’un poète populaire

Quoi qu’il en soit, Pierre Perret laisse déjà derrière lui un héritage immense. Ses chansons continueront de résonner longtemps après sa disparition. Lily demeure un hymne intemporel contre le racisme, Les jolies colonies de vacances reste une satire sociale mordante, et tant d’autres titres font partie de la mémoire collective.

Mais son histoire personnelle rappelle que derrière l’artiste adulé se cache un homme comme les autres, vulnérable, imparfait, meurtri.

Conclusion

À l’aube de ses 90 ans, Pierre Perret incarne la dualité de la vie publique et privée. Célébré comme l’un des plus grands poètes de la chanson française, il est aussi un père endeuillé, un homme en rupture avec les siens, marqué à jamais par la perte de sa fille Julie.

Son existence nous rappelle une vérité universelle : même les artistes qui nous semblent immortels portent leurs failles et leurs blessures. Et parfois, derrière les rires et les refrains qui traversent les générations, se cache un silence assourdissant – celui de l’absence et du regret.