Pierre Perret a aujourd’hui 92 ans et sa vie est si triste qu’elle le tire des larmes. Il raconte son parcours difficile.

Pierre Perret, un nom inoubliable dans l’univers de la chanson française. À la fois poète malicieux et artiste audacieux, il a su captiver des générations entières grâce à ses chansons aussi drôles qu’engagées. Mais derrière le sourire malicieux et les refrains légers se cache une vie de lutte, de blessures invisibles et d’une lucidité à la fois perçante et cruelle. À plus de 90 ans, Pierre Perret continue de chanter, de provoquer, et de remettre en question le monde qui l’entoure. Pourtant, peu savent que cette légende de la chanson française a connu des épreuves aussi profondes que ses succès.

Un Début Modeste : L’Enfance de Pierre Perret, Entre Simplicité et Violence

Né le 9 juillet 1934 à Castel-Sarrazin, un petit village du Tarn-et-Garonne, Pierre Perret a grandi dans un univers qui semble tout droit sorti d’un roman de Pagnol. Ses parents, Maurice et Claudia, tenaient le café du pont, un lieu où les éclats de rire et les coups de gueule fusaient dans une ambiance chaleureuse et populaire. C’est dans ce contexte familial que Pierre s’imprègne des accents du Sud, des jurons colorés et de l’amour de la vie simple. Dans ses souvenirs d’enfance, il évoque des moments de bonheur brut : “Quand je quittais l’école, je pouvais déjà sentir de loin ce que mijotait ma mère. Je l’embrassais, je trempais un croûton dans la sauce et j’étais heureux.”

Mais tout n’a pas été aussi rose pour le jeune Pierre. À l’école, il subit une violence qu’il décrit comme banalisée, subissant des coups d’un instituteur sadique. Ce n’est que lorsque sa mère, excédée, frappe l’enseignant avec une règle de métal que la situation se calme. Cette scène de confrontation violente marquera profondément l’adolescent et l’initiera à la dureté de la vie.

Un Talent Précoce, une Carrière qui Décolle

À 14 ans, Pierre Perret entre au conservatoire de Toulouse. Saxophone, diction, déclamation… il apprend tout ce qui touche à la musique et à la scène. À 19 ans, il décroche le premier prix de saxophone. Mais c’est dans les cabarets parisiens que sa carrière prend un tournant décisif. En 1956, au cabaret La Colombe, il ose enfin montrer ses chansons aux propriétaires du lieu, qui l’encouragent à monter sur scène. Le public l’adopte immédiatement. En un clin d’œil, Pierre Perret devient une figure montante de la scène musicale parisienne. Ses chansons au ton léger et ses jeux de mots malicieux rencontrent un immense succès, et il entre dans la grande famille de la chanson française grâce à des rencontres providentielles avec des géants comme Georges Brassens, Boris Vian et Eddie Barclay.

Les Larmes Derrière le Rire : Censure et Lutte pour la Liberté

Les années 60 sont marquées par un immense succès, mais aussi par de nombreux revers. L’un de ses titres les plus emblématiques, Le Zizi, un hymne irrévérencieux à l’éducation sexuelle, choque les bien-pensants, y compris Yvonne de Gaulle, la première dame de l’époque. Pierre Perret se retrouve face à la censure et aux menaces. Il est accusé de pervertir la jeunesse et de souiller la morale publique. Mais le chanteur, fidèle à lui-même, répond avec humour et irrévérence : “On m’a mis en cause pour la luxuriance de mon vocabulaire, mais c’était du bonheur, rien d’autre.”

L’Engagement de Pierre Perret : Lili, Une Chanson pour la Liberté

Dans les années 70, Pierre Perret écrit Lili, une chanson poignante inspirée par une rencontre avec la militante Angela Davis. Lili, jeune immigrée victime de racisme, devient le symbole d’une lutte universelle contre l’injustice. Mais là encore, la chanson dérange. Refusée par plusieurs stations de radio, elle devient un hymne de résistance. Pierre Perret persiste, continue de chanter Lili dans tous ses concerts, et récolte une standing ovation à chaque fois. La chanson devient un classique, enseignée dans les écoles, un bel hommage à la lutte contre l’oppression.

Les Ombres de la Vie : Tristesse, Maladie et Solitude

Mais derrière cette façade de succès, Pierre Perret cache de nombreuses blessures. La perte de sa fille Julie, morte à l’âge de 30 ans, est un drame qu’il ne surmonte jamais totalement. Dans son autobiographie, il écrit : “C’est la pire chose qui puisse arriver dans la vie de quelqu’un.” Il parle aussi de trahisons personnelles, notamment de l’infidélité de sa première femme, qui le quitte pour le médecin qui le soigne. Brisé par la maladie et la trahison, Pierre se retire un temps de la scène pour se reconstruire. C’est dans cette période de vulnérabilité qu’il écrit de nombreuses chansons, des réflexions sur la vie, l’amour et la douleur.

La Lucidité, un Fardeau : “Le Plus Grand Fléau de la Vie”

L’une des phrases les plus marquantes de Pierre Perret, celle qui résume toute sa philosophie de vie, est sans doute celle-ci : “Le plus grand fléau de la vie, c’est la lucidité.” Cette lucidité qui, selon lui, permet de voir la réalité dans toute sa crudité, mais qui peut aussi être source de douleur. À plus de 90 ans, Pierre Perret continue de monter sur scène, mais il sait que le temps presse. Ses derniers albums, dont Ma Vieille Carcasse, sont un adieu en forme de caresse, un testament musical qui témoigne de sa vision du monde.

Un Adieu en Musique : La Fin d’un Cycle

Pierre Perret annonce que ses derniers concerts approchent. Il confie dans une interview qu’après ces dernières représentations, il mettra sa guitare de côté et se retirera dans la tranquillité, à la pêche. Mais même si sa carrière scénique touche à sa fin, Pierre Perret ne compte pas quitter la musique. Il continue d’écrire, de créer, et de troubler encore son public. Sa dernière chanson, Paris Saccagé, dénonce l’état actuel de la capitale et interroge sur l’avenir. Toujours aussi engagé, il prouve une nouvelle fois que la musique, pour lui, est un moyen de faire passer des messages forts.

Pierre Perret : Un Témoin de Son Temps

Pierre Perret incarne bien plus qu’un simple chanteur populaire. Il est un témoin de son époque, un miroir tendu à une société en pleine évolution. Avec plus de 500 titres à son actif, une carrière de plus de 60 ans et des milliers de concerts donnés, il a marqué plusieurs générations. Mais c’est aussi un homme qui, derrière les sourires et les chansons, a connu la souffrance, l’injustice, et la trahison. Aujourd’hui, il nous enseigne une vérité essentielle : vieillir sans renoncer, souffrir sans se taire, et aimer sans mesure. Parce qu’au fond, comme il le dit si bien, un artiste ne s’excuse jamais d’être sincère.