La fin tragique de Pierre Perret – Sa fille parle de la triste situation de son père.
Pierre Perret : un rire en façade, une douleur en coulisse
À première vue, Pierre Perret incarne la légèreté. Ses refrains malicieux – Le Zizi, Les Jolies colonies de vacances, Mon p’tit loup – ont accompagné des générations de Français. Mais derrière ce sourire tendre et frondeur, se cache une trajectoire jalonnée de blessures, de trahisons, de luttes intimes et de lucidité cruelle. À 90 ans passés, le « Pierrot » national reste un géant debout, mais un géant cabossé. Portrait d’un homme qui a chanté le rire pour mieux apprivoiser ses larmes.
Enfance gasconne : entre sauce au coin du feu et coups de règle
Né en juillet 1934 à Castel-Sarrazin, dans le Tarn-et-Garonne, Pierre grandit au Café du Pont, royaume de ses parents, Maurice et Claudia. C’est un théâtre populaire où fusent les jurons gascons, la gouaille et la chaleur humaine.
Mais l’école, loin d’être un refuge, devient un enfer : un instituteur violent l’humilie, jusqu’au jour où sa mère, excédée, brise la règle de bois sur le bureau et sauve la dignité de son fils.
L’enfant blessé devient autodidacte insatiable. À 14 ans, il entre au conservatoire de Toulouse, travaille le saxophone, la diction, la déclamation. À 19 ans, il décroche un premier prix. Déjà, l’art devient une arme contre l’injustice.
L’ascension d’un troubadour : des cabarets enfumés à la gloire nationale
En 1956, au cabaret La Colombe à Paris, Perret ose présenter ses premières chansons. Le public l’adopte immédiatement. Les rencontres s’enchaînent : Georges Brassens, Boris Vian, Eddie Barclay… La carrière décolle.
Mais le succès des années 60 n’est pas sans revers. Ses refrains potaches déclenchent des scandales : Yvonne de Gaulle, première dame, tente d’interdire Le Zizi. Boycott, menaces, lettres d’insulte – qu’il conserve encore – s’accumulent. On l’accuse de « pervertir la jeunesse ». Lui répond, sourire malicieux : « Ce n’était que du bonheur ».
Lily : la chanson qui dérange et qui fait trembler la France
En 1977, Perret frappe un grand coup avec Lily. Inspirée par sa rencontre à New York avec Angela Davis, la chanson raconte l’histoire d’une immigrée confrontée au racisme. Certaines radios refusent de la diffuser. Qu’importe : Perret impose un ultimatum. « Si je ne peux pas chanter Lily, je n’y vais pas ». Résultat : 150 concerts par an, ovations tous les soirs.
Aujourd’hui, Lily est étudiée dans les écoles. Une revanche éclatante contre l’ignorance.
Succès littéraire : du Café du Pont aux 100 000 exemplaires
En 2005, Perret publie Le Café du Pont, chronique gasconne où se mêlent souvenirs, recettes de cuisine et anecdotes croustillantes. Tirage envolé : 100 000 exemplaires en un mois. Lui qui disait à son éditeur : « Vous n’en vendrez pas 14 » démontre que l’authenticité touche toujours juste.
Pleurésie, trahison et renaissance
Mais derrière les lumières, le destin frappe. Épuisé par la vie de cabaret, il est hospitalisé : diagnostic terrible, liquide pleural comprimant le cœur. Ponction de deux litres. Repos absolu. À Luchon, en convalescence, survient la trahison ultime : sa compagne Françoise le quitte pour son médecin. Coup de poignard intime.
Perret s’accroche à la musique et à l’écriture pour survivre. En 1960, à 26 ans, il signe son premier 45 tours grâce à Barclay. Le public l’adopte : la lumière revient.
Rebecca, l’amour de soixante ans et le drame irréparable
Peu après, il rencontre Rebecca, qui deviendra sa femme, sa complice, son pilier. Ensemble, ils traversent six décennies. Mais le destin les frappe à nouveau : leur fille Julie meurt à 32 ans. Choc abyssal.
Perret n’en parle presque jamais. Dans ses mémoires, il écrit seulement : « C’est la pire chose qui puisse arriver dans une vie. » En 2013, chez Alessandra Sublet, il évoque cette douleur, à demi-mot, la voix brisée.
Solitude familiale : « Je ne sais même pas si j’ai des arrière-petits-enfants »
À la douleur s’ajoute une autre blessure : l’éloignement avec ses enfants et petits-enfants. Dans une interview en 2019, il confie : « Je ne sais même pas si j’ai des arrière-petits-enfants. » Silence lourd, résignation à peine voilée. Derrière l’homme qui a fait chanter des millions, se cache une solitude immense.
Un homme de combats et de polémiques
En 2009, une journaliste insinue qu’il aurait plagié Paul Léautaud. Perret porte plainte pour diffamation et gagne. Pour lui, ce n’est pas qu’une victoire juridique : c’est une bataille pour l’honneur et la mémoire.
En 2020, il choque à nouveau avec sa chanson Paris saccagé, chronique acide d’une capitale meurtrie. Fidèle à lui-même, Perret n’a jamais cessé de bousculer.
La scène comme refuge : chanter pour un seul spectateur
Une anecdote dit tout de sa conception de l’art. Un soir d’hiver, une tempête de neige vide une salle de montagne. Un seul spectateur se présente. On propose d’annuler. Perret refuse. Il chante pour un seul homme, avec la même intensité que pour mille. À la fin, l’homme sans manteau murmure : « Merci. »
Le poids de la lucidité
Tout au long de sa vie, Perret a répété une phrase : « Le plus grand fléau de la vie, c’est la lucidité. » Car il a vu trop clair : les hypocrisies du pouvoir, les trahisons de l’amour, la solitude des gloires vieillissantes.
Pourtant, il n’a jamais renoncé. Ses carnets, qu’il appelle « cahiers de preuves », regorgent de notes, d’odeurs, de fragments de vies. Il écrit, encore et toujours, pour ne pas laisser l’oubli gagner.
Ma vieille carcasse : le chant du cygne
En 2020, il sort l’album Ma vieille carcasse. Testament musical, adieu tendre et caressant. Mais Perret ne se résigne pas. À plus de 90 ans, il continue d’écrire, de chanter, de déranger. « Après mes derniers concerts, j’irai à la pêche », dit-il. Mais sa plume, elle, ne connaît pas de retraite.
Un poète populaire, une légende vivante
Avec plus de 500 chansons, 60 ans de carrière et des salles pleines, Pierre Perret reste une légende vivante. Mais une légende habitée par la douleur, la solitude et la lucidité.
Derrière le calembour, la tendresse ; derrière le rire, la lutte contre le désespoir. Son œuvre nous rappelle que la chanson peut être politique, tendre, irrévérencieuse et profondément humaine.
Et qu’un véritable artiste, même à bout de souffle, ne s’excuse jamais d’être sincère.