Détail Karine Le Marchand et Mimi Marchand, de l’amitié au tribunal
D’un côté, la star des soirées de M6 et son émission phare, L’Amour est dans le pré. De l’autre, Michèle Marchand, reine de la presse people depuis quarante ans. Entre les deux, une amitié qui va bientôt trouver son épilogue au tribunal. Hugo Wintrebert raconte les coulisses de cette sordide histoire de photos volées.
Mais que vient faire une star de la télé dans les locaux de l’IGPN, l’inspection générale de la police nationale ? Ce 21 février 2020, les agents de la police des polices font les yeux ronds en voyant débarquer Karine Le Marchand, la célèbre présentatrice de L’Amour est dans le pré. Non, elle n’est pas venue tourner une nouvelle émission de téléréalité pour M6, mais bien évoquer une affaire personnelle. Sa fille mineure a été placée en garde à vue il y a peu pour détention de quelques grammes de cannabis. À sa sortie du commissariat du 16e arrondissement de Paris, un paparazzo apparemment bien renseigné l’a prise en photo. L’animatrice en est persuadée : c’est forcément un policier qui a informé ce photographe.
Karine Le Marchand se croit victime d’un agent un peu trop bavard, elle souhaite donc porter plainte : on ne joue pas impunément avec les images de son enfant. Elle est alors loin d’imaginer que cette histoire va éclairer les enquêteurs de l’IGPN sur une autre affaire, de mœurs cette fois, qui met en cause un ancien ministre, candidat à la mairie de Paris. Et surtout révéler les pratiques de la femme la plus puissante de la presse people : Michèle Marchand, dont la réputation donne des sueurs froides à l’entre-soi du show-biz.
Leur première rencontre remonte à 2016. Karine Le Marchand cherche à lancer une émission d’un nouveau genre, en interrogeant des candidats à l’élection présidentielle, mais sans jamais parler politique. À l’époque, elle est fascinée par ce nouveau venu nommé Emmanuel Macron. Dans l’entourage du jeune loup figure alors une drôle d’intermédiaire, pas vraiment « start-up nation » : Michèle Marchand, surnommée « Mimi ». Une septuagénaire tout droit sortie d’un film d’Audiard, gouailleuse, mordante, séduisante, adepte du billard à trois bandes. Habillée en tailleur Chanel et jurant de sa voix rauque travaillée à la clope, elle passe sa vie au téléphone pour sonder son redoutable réseau d’informateurs, qu’ils soient employés de l’Hôpital américain, concierges de palaces, petit personnel d’Air France, et même parfois policiers peu scrupuleux. Finalement, Emmanuel Macron ne fait pas l’émission. Mais les deux femmes ont bien accroché. Mimi relance souvent sa « nouvelle amie » pour lui proposer d’organiser des fausses paparazzades, l’une de ses spécialités. Des photos plus ou moins volées en maillot de bain à la plage ou au bras d’un nouveau prétendant, revendues ensuite à bon prix à la presse people. À chaque fois, Karine Le Marchand décline poliment.
Mais ce 19 février 2020, Mimi se fait plus pressante. « Hello, appelle-moi quand tu es tranquille, aucune inquiétude, j’ai tout bloqué et récupéré, on en parle. Je t’embrasse fort. Mimi. » Karine Le Marchand est inquiète : l’avant-veille, sa fille a passé la nuit au commissariat du 16e, avant d’être relâchée avec un simple rappel à la loi. Selon Mimi, il y aurait un autre problème. Un jeune photographe qu’elle dit ne pas connaître se serait présenté dans les locaux de son agence Bestimage, pour lui proposer des photos de la fille de l’animatrice à sa sortie de garde à vue, accompagnée de sa grand-mère. « Je l’ai pourri, assure Mimi. Je lui ai donné 3 500 euros et j’ai récupéré toutes les photos, je les ai mises sur une clé USB, t’inquiète pas, ça va pas sortir. » Dans le même message, elle prend soin d’ajouter que de toute manière, les images étaient invendables. « Ta fille est mineure et tu n’es même pas sur la photo. » Soulagement de Karine Le Marchand : « Merci Mimi, je te le revaudrai (déjà je te dois des sous). Ma fille c’est ma princesse, elle morfle déjà d’avoir une mère célèbre, je veux qu’elle soit apaisée (et sans pétard). Je t’embrasse. »
« Avec toute ma tendresse »
Mimi n’a jamais explicitement réclamé la somme de 3 500 euros, qu’elle dit avoir remis au mystérieux photographe. Mais Karine Le Marchand se sent tout de suite redevable. « On a toujours le choix de ne pas payer, explique-t-elle aux enquêteurs. Mais ça voulait dire que j’étais en dette face à une femme qui parle beaucoup, qui a le pouvoir de faire des papiers négatifs sur les gens. Moi, Mimi ne me fait pas peur, mais elle a un pouvoir de nuisance assez intense, dont elle se sert, et s’il y a une personne avec laquelle on n’a pas envie d’être endettée, c’est bien elle. » Une semaine après la garde à vue de sa fille, la présentatrice invite donc son amie à déjeuner. Au cours du repas, Mimi lui remet la clé USB contenant les fameuses photos. En échange, une enveloppe avec 1 600 euros et « la promesse de compléter sous peu ».
Pendant cinq mois, plus rien. Le 30 juillet, Michèle Marchand réagit par SMS à une publication Instagram de la présentatrice, alors en vacances à Nice. Sur un ton badin, elle lui reproche de ne pas la faire travailler, contrairement à Stéphane Plaza, l’autre star de M6 dont les images en vacances s’affichent dans la presse people. « Je te dois des sous, je n’oublie pas », lui rétorque Karine Le Marchand. « Je sais que tu n’oublies pas, on verra ça à la rentrée, les temps sont durs. Me serais pas permis de te relancer ! On peut pas faire des photos de toi, toujours très belle, à la plage, seule mais bien gaulée ? » Une nouvelle fois, la star l’éconduit : « Sincèrement j’ai bien gavé la corporation pendant des années à mon insu. Avec toute ma tendresse. »
À nouveau entendue un an après, lors de sa deuxième audition devant l’IGPN, Karine Le Marchand insiste tout de même pour dire qu’elle n’est pas victime d’extorsion. Mais il lui a semblé important que les photos ne soient pas diffusées, sa fille envisageant d’entamer des études de droit. Quelques semaines plus tard, changement de ton. Cette fois, Karine Le Marchand se montre agacée. Elle raconte aux enquêteurs être « harcelée » par Michèle Marchand, qui n’arrête pas de lui demander de la rappeler. Ce jour-là, la présentatrice finit par répondre à l’un de ses nombreux SMS insistants. Elle évacue, se dit débordée de travail. En retour, Mimi lui écrit : « Ce sera trop tard… C’est embêtant pour la petite. »
Fini le ton doucereux. Serait-on passé aux menaces ? Karine Le Marchand hésite. Et si Mimi, au lieu d’avoir intercepté la paparazzade de sa fille, l’aurait plutôt commanditée ? Elle fait part de ses doutes aux enquêteurs. Eux tentent depuis longtemps de répondre à une autre question, cruciale dans le dossier : qui a bien pu renseigner le mystérieux photographe de la présence en garde à vue de la fille Le Marchand ? En fait, depuis des mois, la police des polices est sur les traces de flics de ce commissariat du 16e arrondissement, déjà mis en cause dans une autre affaire, plus politique mais tout aussi rocambolesque.
« J’avais une belle affaire et lui de belles photos »
Tout d’abord, il faut se replonger dans cette France pré-Covid. Février 2020, les élections municipales doivent se tenir dans quelques semaines. À Paris, le candidat du camp macroniste est l’ancien porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. Dans la soirée du 13 au 14 février 2020, sur un obscur site, propriété de l’artiste et réfugié politique russe Piotr Pavlenski, est publiée une vidéo privée à caractère sexuel du député. Le lendemain, Benjamin Griveaux se retire de la course à la mairie de Paris. Sidération politique. La police se met aux trousses de l’activiste russe. Les médias aussi le pistent, lui et sa compagne, Alexandra de Taddeo. Finalement, le 15 février dans l’après-midi, le Russe est arrêté. Cinq jours plus tard, une photo de son interpellation est publiée en une de Paris Match. On y voit Pavlenski, maintenu au sol, menotté. Problème : la diffusion d’une telle image est interdite en France, une histoire de présomption d’innocence et de droit à la dignité de la personne humaine. Autre hic : comment un photographe a pu se trouver si proche des policiers en train de procéder à l’interpellation, sans bénéficier de complicité ?
Les enquêteurs de l’IGPN commencent par relire le rapport d’intervention. Selon celui-ci, cinq policiers se sont positionnés le 15 février à partir de 10h30 au pied du domicile d’Alexandra de Taddeo, dans le 16e arrondissement de Paris, espérant qu’elle les mène à son compagnon. À 13h09, elle sort de chez elle. Après onze minutes d’une marche rapide, la jeune femme entre dans un hôtel Ibis. Les agents se positionnent devant l’entrée et sont relevés par une autre équipe de trois policiers vers 16h30, qui n’aura pas à attendre bien longtemps. À 17h10, Piotr Pavlenski et sa compagne ressortent. Le Russe se retrouve face contre terre sur le trottoir trois minutes plus tard.
Voilà pour la version officielle. Mais le premier policier, auteur de ce procès-verbal – que l’on appellera ici « Policier 1 » –, le reconnaît assez vite : il a omis quelques détails dans son rapport. Notamment d’indiquer la présence du journaliste paparazzo Sébastien Valiela, « dont la notoriété le précède ». L’agent avoue aussi avoir levé la surveillance du domicile d’Alexandra de Taddeo quelques minutes, « le temps d’aller aux toilettes et se restaurer rapidement ». C’est en fait le paparazzo qui l’a appelé pour lui indiquer qu’Alexandra de Taddeo venait de quitter son immeuble, puis de rentrer dans un hôtel Ibis à plusieurs centaines de mètres de là.
Outre le faux en écriture publique, Policier 1 reconnaît ainsi avoir laissé un journaliste people faire le travail à sa place. En revanche, il nie lui avoir soufflé des informations soumises au secret de l’enquête. La preuve, lorsqu’il est arrivé ce matin-là devant le domicile d’Alexandra de Taddeo, Sébastien Valiela était déjà présent. Sauf qu’une rapide étude du bornage des portables dit exactement l’inverse. En garde à vue, Valiela admet d’ailleurs avoir été tuyauté par Policier 1. C’est bien lui qui l’a appelé ce matin-là. « Ça ne lui semblait pas très important, mais moi j’ai tout de suite compris l’importance du sujet », avoue le photographe.
Policier 1 s’avoue vaincu. D’accord, il a bien déclenché la présence de Valiela sur les lieux. Mais il n’y a eu aucune contrepartie. « J’avais une belle affaire et lui de belles photos », avoue-t-il. Bestimage, l’agence de Mimi, a d’ailleurs facturé 18 000 euros HT à Paris Match, deuxième plus grosse vente de l’agence sur l’année. Valiela et un second photographe de Bestimage, présent lui aussi au moment de l’interpellation de Pavlenski, se sont partagé une moitié de l’enveloppe.
En épluchant les messages de Policier 1, les enquêteurs s’interrogent aussi sur le rôle trouble de deux de ses collègues, appelons-les « Policier 2 » et « Policier 3 ». Eux aussi étaient en lien avec Sébastien Valiela, même si rien ne permet de les poursuivre pour violation du secret professionnel. Plane aussi une autre ombre dans ce tableau, celle de Mimi. Elle n’est pas seulement le principal employeur de Valiela mais aussi son témoin de mariage, l’employeur de sa femme, presque une mère pour lui. Tous les deux sont habitués à monter des gros coups. D’où la question : Mimi a-t-elle aussi profité du tuyau policier ? Placée en garde à vue, elle explique avoir missionné le second photographe présent sur les lieux, et non Valiela, sur ce coup. Au premier, elle a simplement donné l’adresse d’Alexandra de Taddeo la veille de l’arrestation de son conjoint. Une information que lui aurait soufflé l’entourage de Benjamin Griveaux. Vraiment ? Un ancien ministre aurait donc missionné la patronne de Bestimage, proche du couple Macron, pour exécuter les basses manœuvres ? Suffisamment crédible, considère la juge d’instruction, pour ne pas poursuivre Michèle Marchand sur ce volet de l’affaire.
Sous-marin
Retour à notre histoire Karine Le Marchand. C’est deux jours après l’arrestation de Piotr Pavlenski que la fille de l’animatrice est placée en garde à vue. Le rapport entre les deux affaires ? On y retrouve exactement les mêmes protagonistes : Mimi, Sébastien Valiela, les mêmes policiers du commissariat du 16e arrondissement. C’est en épluchant le téléphone de Policier 1 que les enquêteurs de l’IGPN ont trouvé de curieux messages envoyés à l’un de ses confrères – en l’occurrence, Policier 3 – présent ce jour-là dans l’enceinte du commissariat. « En GAV la fille ou pas ? » Puis cinq minutes plus tard : « Urgent !!! » Sur le smart- phone de Policier 3, se trouvait aussi une photo prise de l’intérieur d’un utilitaire aux vitres teintées, stationné juste en face du commissariat. Un « sous-marin », dans le langage des paparazzi, habitués à y végéter des heures pour leurs planques.
En garde à vue, Policier 3 ne nie pas une certaine coordination avec deux photographes, dont Sébastien Valiela, plantés à l’extérieur du commissariat. Mais il réfute avoir donné l’information du placement en garde à vue de la fille de Karine Le Marchand. Il se serait contenté de confirmer, précisant tout de même qu’elle venait de se faire arrêter pour une affaire de stupéfiants.
Pourtant, à entendre Valiela, ce seraient bien Policier 1 et Policier 3 qui l’auraient avisé de l’arrestation de la jeune fille. Le photographe explique avoir par la suite prévenu Michèle Marchand pour savoir si le déplacement valait le coup. Ils avaient des doutes sur la possibilité de vendre les potentielles photos d’une mineure, mais Mimi aurait insisté. Valiela emprunte donc le « sous-marin » de Bestimage, et se gare face au commissariat, en espérant que la mère vienne chercher sa fille gardée à vue. Pas de chance : les deux photographes planqués découvrent alors une story sur Instagram de la présentatrice de M6 au milieu d’une prairie suisse. « On allait partir quand on les a vues sortir », explique aux enquêteurs Sébastien Valiela. La fille et sa grand-mère, rien de très alléchant effec- tivement. « La photo d’une mineure qui sort d’un commissa- riat avec une personne anonyme n’a aucun intérêt », ajoute-t-il. Mais il s’agit de comprendre la psychologie d’un paparazzo en planque depuis plusieurs heures. « Si quelque chose se passe devant nous, on fait les photos. » Il assure ensuite avoir prévenu Mimi. « Elle m’a dit “envoie”. » Quelques jours plus tard, Valiela aurait de nouveau questionné Mimi au sujet des images. Que deviennent-elles ? « Personne n’en a voulu puisque cela concerne une mineure », lui aurait-elle rétorqué sèchement. Du côté du photographe, l’affaire en reste là. Ah oui, il précise aussi n’avoir pas touché un centime dans cette opération.
Aux enquêteurs, Mimi livre une toute autre version. Loin de l’image d’une patronne omnisciente, toujours à pianoter sur ses trois portables, elle assure avoir découvert bien tardivement l’existence de photos compromettantes de la fille Le Marchand. « Tu es dingue ? Tu m’adresses les photos, aurait-elle ordonné à Valiela, furieuse. Karine est une amie, la fille est mineure, ces photos ne doivent pas sortir. » Elle assure tout de même avoir reversé au photographe les 1 600 euros remis par Karine Le Marchand, « à titre de dédommagement ». Mais jamais, non jamais, elle n’a été insistante, encore moins menaçante, envers la présentatrice. Certes, elle a pu lui envoyer le SMS : « Ce sera trop tard… c’est embêtant pour la petite. » Mais c’était juste pour la prévenir que l’affaire risquait de fuiter dans la presse, et qu’il fallait vite organiser une défense.
Alors qui dit vrai ? Difficile d’y voir clair dans ce jeu nébuleux où chacun se renvoie la balle. Pourquoi les policiers se seraient-ils ainsi compromis ? Certes, Policier 2 était une vieille connaissance de Sébastien Valiela. Ensemble, ils partaient en vacances, des photos prises à Pattaya peuvent en témoigner. Mais les deux autres ? L’enquête n’a pas permis de démontrer une éventuelle rémunération des policiers. Enfin, presque. Le lendemain de la garde à vue de la fille de Karine Le Marchand, Sébastien Valiela, Policier 1 et 3 se sont retrou- vés dans un café. Policier 2, lui, était à distance, en Facetime.
Tous les quatre racontent avoir parlé de la pluie et du beau temps, de leur vie de famille, enfin rien de très truculent. À la fin, le photographe a réglé l’addition. Quelques cafés, des Perrier, un coca. Suffisant selon la juge d’instruction pour y voir une rétribution des policiers et donc pour poursuivre le photographe pour corruption, quand bien même la somme en jeu semble bien dérisoire. Un chef d’accusation supplémentaire pour Valiela, qui a déjà beaucoup perdu dans cette affaire. Depuis cette histoire, plus aucun photographe ne lui adresse la parole. Grillé sur la place de Paris, il a dû déménager au Maroc pour reconstruire sa vie. Amitié de plus vingt ans ou pas, on ne s’oppose pas à Mimi Marchand sans en subir quelques conséquences. Même si tous deux, ainsi que deux policiers, devraient se retrouver sur les bancs du tribunal correctionnel de Paris en mai prochain. Karine Le Marchand viendra-t-elle témoigner à cette occasion ? En mars 2024, sa fille a de nouveau été placée en garde à vue, dans le même commissariat du 16e arrondissement, après avoir été testée positive au cannabis. L’information s’est vite propagée dans la presse et l’animatrice s’est fendue d’un long billet pour dire son exaspération sur Instagram. Elle y rappelait notamment que la moitié des 18-64 ans avait déjà consommé du cannabis. « Évidemment je poursuivrai toute personne médisante, et surtout évidemment ma Princesse je te défendrai jusqu’à ma mort. Avoir 21 ans n’est pas facile. Être ma fille non plus. »