Anne Poiret : “Les femmes p*dophiles sont dans une honte”

Dans l’imaginaire collectif, le prédateur sexuel a un visage masculin. C’est le monstre tapi dans l’ombre, l’ogre des contes de fées, une figure que la société a appris à identifier et à craindre. Pourtant, une réalité plus complexe et infiniment plus dérangeante se dissimule derrière ce stéréotype : celle des femmes pédocriminelles. Un phénomène largement minimisé, enveloppé d’un silence si épais qu’il en devient un tabou absolu. La journaliste et réalisatrice Anne Poiret a osé briser ce silence avec son livre-enquête, “L’ultime tabou : femme pédophile, femme incestueuse”, plongeant au cœur des ténèbres pour donner une voix à celles et ceux que personne ne veut entendre

Anne Poiret : “Mon pays vend des armes", plongée dans une industrie taboue  en France

Un chiffre qui cache la forêt : la minimisation d’un drame

Officiellement, les femmes ne représentent que 4% des personnes condamnées pour viol et agression sexuelle sur mineur. Un chiffre dérisoire qui, selon Anne Poiret, est loin de refléter l’ampleur du problème. Il n’est pas le signe d’une rareté du phénomène, mais plutôt la preuve d’une incroyable défaillance collective à le reconnaître. “Ce chiffre est une preuve de la minimisation”, affirme-t-elle avec force. Car comment croire l’impensable ? Comment admettre que celle qui donne la vie, qui protège et qui nourrit, puisse être la source de la plus abjecte des souffrances ?

Cette incrédulité est le premier mur auquel se heurtent les victimes. Lorsqu’un enfant est abusé par une femme, sa parole est souvent mise en doute, son récit minimisé, voire rationalisé. Les professionnels eux-mêmes peinent à concevoir cette réalité. On cherchera la manipulation d’un homme en arrière-plan, une instrumentalisation, n’importe quelle explication qui permettrait de préserver l’image sacrée de la maternité et de la féminité. Pourtant, pour l’enfant, le genre de l’agresseur ne change rien. “Le traumatisme est le même, qu’il soit causé par une femme ou un homme”, insiste la journaliste. La blessure est aussi profonde, la trahison aussi violente, la reconstruction tout aussi difficile.

Derrière le déni, la honte et la destruction

Pour son enquête, Anne Poiret a rencontré ces femmes. Elle est allée derrière les barreaux, dans ces lieux où la société enferme ses monstres, pour écouter celles qui ont commis l’irréparable. Elle y a découvert des parcours de vie complexes, mais surtout un mécanisme de défense quasi universel : le déni. Un déni forcené, initial, qui leur permet de survivre à l’horreur de leurs propres actes.

Ce n’est qu’au terme de longs et difficiles travaux thérapeutiques que le voile se déchire. La réalité de ce qu’elles ont fait leur explose au visage, laissant place à une honte abyssale et à une détresse infinie. “Elles expriment une honte et une profonde détresse, avec des pensées suicidaires ou d’autodestruction”, rapporte Anne Poiret. La prise de conscience est un cataclysme psychique qui les anéantit. Mais cette souffrance de l’agresseur, aussi réelle soit-elle, ne doit jamais effacer celle, première et indélébile, de la victime. Elle permet cependant de comprendre les mécanismes psychiques à l’œuvre et la force du tabou qui les a poussées à agir et à se taire.

Photos de Anne Poiret - Babelio.com

Le système judiciaire lui-même semble parfois mal à l’aise avec cette réalité. Anne Poiret soulève la complexité de la définition légale du viol, citant une jurisprudence de la Cour de cassation qui a pu considérer qu’une pénétration non directe ne constituait pas un viol, mais une “atteinte sexuelle”. Cette nuance sémantique a des conséquences dramatiques pour les victimes : les peines sont moins lourdes, et les délais de prescription plus courts, offrant une voie de sortie juridique à des actes dont la violence psychologique est tout aussi destructrice.

Carole, le cycle infernal du traumatisme

L’histoire la plus poignante est sans doute celle de Carole. Une femme ordinaire, une ancienne libraire, une mère. Son témoignage, livré avec une courageuse vulnérabilité, nous fait basculer de l’autre côté du miroir. Carole n’est jamais passée à l’acte. Mais elle a ressenti l’impensable. Elle a connu les pulsions incestueuses envers son propre fils, alors âgé de 13 ans. Une expérience si terrifiante, si contraire à son identité de mère, qu’elle l’a plongée dans une horreur sans nom.

Son histoire prend racine dans sa propre enfance. Elle-même victime de “comportements incestueux” de la part de sa mère, elle a grandi avec une bombe à retardement en elle. Le mot “inceste” ne lui est venu que bien plus tard, tant le déni familial et sociétal était puissant. Ses pulsions envers son fils n’étaient pas un désir prédateur, mais une répétition monstrueuse et incontrôlable de son propre traumatisme. “Mes pulsions étaient uniquement dirigées vers mon fils et elles étaient directement liées à ma propre expérience d’abus”, confie-t-elle.

Consciente du danger, incapable de maîtriser cette part sombre d’elle-même, Carole a pris la décision la plus déchirante qu’une mère puisse prendre. Pour protéger son enfant, elle l’a envoyé vivre chez son père. Un acte de sacrifice et d’amour ultime, né de la terreur de devenir son propre bourreau. Le plus terrible est que, même en analyse, elle n’a jamais osé parler de ces pulsions. Le tabou était si fort, la honte si paralysante, que le secret est resté enfoui, même dans l’espace prétendument le plus sûr.

De la mère incestueuse à la prédatrice organisée

Si les abus se produisent majoritairement au sein de la cellule familiale, Anne Poiret met en garde contre une vision réductrice du phénomène. Oui, les mères incestueuses existent. Mais il existe aussi des femmes prédatrices, qui opèrent en dehors de tout lien de parenté, avec une stratégie et une froideur qui glacent le sang.

Anne Poiret : "Les femmes p*dophiles sont dans une honte" l Interview l ONPP

Elle cite le cas de Joséphine, abusée par son enseignante. Cette dernière avait mis en place une véritable stratégie d’isolement et de manipulation pour piéger sa victime, démontrant une intentionnalité et une absence d’empathie totales. Loin d’être des cas isolés, ces femmes prédatrices se retrouvent et échangent. La journaliste révèle l’existence de sites internet et de forums dédiés aux femmes attirées par les enfants mineurs, créant des communautés où les fantasmes sont partagés et les passages à l’acte, banalisés.

Briser ce tabou n’est pas une mince affaire. C’est accepter de regarder la part la plus sombre de l’humanité là où on ne l’attend pas. C’est accepter de complexifier notre vision du bien et du mal, et de reconnaître que la capacité à détruire une enfance n’a pas de genre. Le travail d’Anne Poiret et le témoignage de Carole sont des pierres jetées dans une mare de silence. Ils nous obligent à ouvrir les yeux, à écouter la parole des victimes sans préjugés, et à enfin nommer l’innommable pour que, peut-être, un jour, ce tabou ultime cesse d’être une arme au service des bourreaux.

Related Posts

Our Privacy policy

https://abc24times.com - © 2025 News