Nicole Calfan, comédienne reconnue, a récemment décidé de briser le silence autour d’un sujet douloureux qu’elle a longtemps porté seule : les violences qu’elle a subies au cours de sa vie amoureuse. Dans les colonnes de Paris Match, elle explique qu’à 59 ans, elle ne souhaite plus se cacher, ni travestir son histoire. Elle affirme qu’après avoir franchi la cinquantaine, il n’y a plus rien à prouver et que vient le temps du bilan. Cette prise de parole n’a rien d’un aveu pour susciter la compassion ni d’une confession intéressée. Elle s’inscrit au contraire dans une démarche de reconstruction et d’engagement, soutenue notamment par son intérêt pour les actions d’Amnesty International.
Ce qui frappe dans son témoignage, c’est la manière dont elle déconstruit une idée reçue largement répandue : la violence conjugale n’est pas confinée aux quartiers défavorisés. Elle existe également dans les milieux bourgeois, protégés en apparence, au sein de familles que l’on imagine éloignées de ces réalités. Issue d’un milieu favorisé, Calfan raconte pourtant avoir été confrontée à cette brutalité dès l’âge de dix-huit ans. Elle évoque une succession d’épisodes traumatisants : coups de poing sous le menton qui ne laissaient aucune trace visible, coups de pied dans le ventre lorsqu’elle était à terre, cheveux tirés à travers tout un appartement pour un simple désaccord ou même une crème caramel manquante dans le réfrigérateur. Des violences absurdes, cruelles, disproportionnées, mais qui rythmaient son quotidien.
Elle précise que ces coups ne sont pas venus d’un seul homme, mais de plusieurs relations successives. Non pas qu’elle ait cherché ces situations, mais elle reconnaît avoir été attirée vers des hommes fragiles, en proie à leurs propres failles, qu’elle pensait pouvoir aimer et réparer. Dans ce mécanisme complexe, elle décrit le piège affectif : au début, tout semble parfait, l’amour est réciproque, la relation paraît solide. Puis, insidieusement, viennent les humiliations, les gifles, les gestes blessants, qui deviennent de plus en plus violents. Le schéma se répète.
La comédienne confie aussi combien il est difficile, pour une femme, de réagir immédiatement. Il ne s’agit pas d’un simple réflexe de survie. La réalité est bien plus complexe : le manque de confiance en soi, la peur de perdre l’amour, le désir d’être aimée, tout cela rend l’issue presque impossible. Elle-même se décrit comme une femme conciliante, « facile à vivre », presque trop dévouée, qui cherchait à anticiper les désirs de ses partenaires. Mais cette attitude, loin de protéger la relation, l’exposait davantage aux violences. Elle insiste : « Ce n’est pas que je voulais l’amour à tout prix, mais je voulais l’amour de l’homme que j’avais choisi. »
Certaines scènes qu’elle relate frappent par leur intensité dramatique. Elle raconte par exemple un épisode digne d’un cauchemar : suivie en voiture par son compagnon, celui-ci n’hésitait pas à la percuter violemment, dans une sorte de jeu pervers, jusqu’à ce qu’elle perde presque le contrôle de son véhicule. Cinq minutes dans une telle situation lui semblaient une éternité, avec les phares qui se rapprochaient dans le rétroviseur, les chocs répétés, la peur paralysante. Elle tremblait de tout son corps. Puis, comme si de rien n’était, elle rentrait à la maison.
Mais le problème, selon elle, ne s’arrête pas à la sphère privée. La difficulté de porter plainte ou de trouver une oreille attentive dans les commissariats est immense. Elle décrit le parcours humiliant des femmes qui osent franchir la porte d’un poste de police : souvent reçues par des hommes qui les jugent, les trouvent « mignonnes » ou croient à une exagération, elles doivent se « déshabiller moralement » pour essayer de convaincre, mais sans succès. Dans son cas, être comédienne rendait les choses encore plus compliquées. Au lieu d’être prise au sérieux, on lui demandait parfois un autographe, alors qu’elle portait encore les stigmates visibles des violences. L’absurde se mêle à l’indignité.
Ce qu’elle veut aujourd’hui mettre en avant, c’est la nécessité de parler, d’alerter et de soutenir les femmes encore prisonnières du silence. Car la peur ne disparaît jamais vraiment. Même des années après, un éclat de voix dans un restaurant, une bagarre dans la rue suffisent à réveiller les traumatismes. Elle compare cette peur à une « fracture ouverte » que l’on porte en soi, à vie.
Lorsqu’on lui demande si ses enfants ont été témoins de ces violences, elle répond fermement que non. Elle a toujours tenu à les protéger, à séparer sa souffrance de leur enfance. Ils n’ont découvert l’ampleur de son vécu qu’à travers son témoignage public. Leur réaction a été simple mais réconfortante : « Quel courage, maman. Tu as bien fait de parler. » Pour elle, ces mots suffisent. Elle précise également que leurs pères ne sont en rien concernés par ces violences.
Aujourd’hui, Nicole Calfan explique qu’elle n’a plus peur. Elle ne souhaite pas nommer ses agresseurs, mais elle sait qu’ils se reconnaîtront. Elle affirme être protégée par la parole, par sa notoriété, et surtout par sa décision d’avancer. Son but n’est pas de régler des comptes personnels, mais de contribuer à une prise de conscience collective. Elle insiste : les « frappeurs mondains » existent, tout autant que les violences liées à l’alcool ou aux conduites dangereuses au volant. Ces comportements, qui terrorisent les femmes, doivent cesser.
Enfin, ce témoignage est aussi un appel à l’engagement. Elle souhaite mettre sa voix et son expérience au service des autres, en participant à des projets d’associations comme Amnesty International. « J’ai trop d’amies qui tremblent, trop d’amies qui m’appellent la nuit en disant ‘viens’. Ça suffit, il faut parler, il faut s’exprimer. » Par ces mots, elle résume la nécessité d’un mouvement collectif, où chacune ose se libérer de la peur pour ouvrir la voie aux autres.
À travers son récit, Nicole Calfan illustre à quel point les violences conjugales sont universelles, traversant toutes les classes sociales et toutes les générations. Elle incarne aussi l’idée que, même après des décennies de silence, la parole reste une arme puissante, un acte de dignité et de résistance. Sa voix, désormais, ne parle plus seulement pour elle, mais pour toutes celles qui n’osent pas encore se faire entendre.