À 67 ans, Yves Montand, monument du cinéma et de la chanson française, est devenu père pour la première fois. L’événement avait surpris le grand public autant qu’il l’avait ému. Le bébé, prénommé Valentin, pesait 4,2 kilos à la naissance. Sa mère, Carole Amiel, se souvient avec précision de ce moment unique.
Dans un éclat de tendresse mêlé d’humour, elle rapporte que Montand, fier comme jamais, s’était exclamé : « On ne pourra pas dire que c’est un gosse de vieux ! » Ces mots, simples mais chargés de fierté, résonnaient comme un pied de nez aux clichés sur la paternité tardive. Carole ajoute que pour Montand, le fait d’avoir un fils revêtait une signification toute particulière, un écho à ses origines italiennes et à son désir profond de transmettre.
Valentin grandit dans un environnement singulier, à la fois ordinaire et exceptionnel. Ordinaire, car ses parents veillent à lui offrir une enfance équilibrée, loin de l’excès médiatique. Exceptionnel, car l’ombre lumineuse d’Yves Montand plane sur le quotidien familial : ses films, ses chansons, ses tournées passées, ses rencontres avec les plus grands artistes du XXᵉ siècle.
Mais Montand ne voulait pas être seulement un souvenir prestigieux ou un nom sur une affiche. Il voulait être un père présent, curieux, attentif, même si le temps lui était compté.
Aujourd’hui, Valentin a suivi une voie bien différente de celle de son père. Passionné par les technologies et l’univers virtuel, il a fondé à Montpellier une école spécialisée dans le jeu vidéo en 3D. C’est son métier, sa vocation. Une trajectoire éloignée des plateaux de cinéma et des studios d’enregistrement, mais qui, d’une certaine manière, prolonge la créativité et l’exigence artistique qu’il a reçues en héritage.
Lorsqu’il évoque son père, Valentin le fait avec retenue et lucidité. Il raconte que l’un des premiers films qu’il a vus avec lui était La Folie des grandeurs, comédie culte qui associait Louis de Funès et Montand dans un duo irrésistible.
« C’était parfait, se souvient-il. Avec les films, je ne prenais que ce qui me plaisait de mon père. Je construisais une sorte de perspective, un modèle idéal, en ne retenant que les qualités. » Cette méthode, presque instinctive, lui a permis de forger une image de son père qui reste aujourd’hui un guide, une source d’inspiration.
Valentin ne s’est pas contenté des souvenirs personnels. Il a voulu confronter sa vision à celle de ceux qui avaient connu Montand intimement : amis, collègues, proches. Ensemble, ils ont revisité les moments marquants de sa vie et de sa carrière, cherchant à cerner ce qui représentait vraiment l’homme derrière la star. Cette démarche l’a conduit à analyser certains rôles emblématiques de son père à travers le prisme de la réalité.
Il cite par exemple César et Rosalie, chef-d’œuvre de Claude Sautet dans lequel Montand incarne César, un homme à la fois passionné, généreux, jaloux et profondément humain. « Dans ce film, dit Valentin, il est proche du personnage que j’ai dans ma tête. Je ne sais pas si c’est vraiment lui, mais c’est le Yves-Olivier – ce mélange de personnage et de réalité – que je prends pour père. »
Cette distinction subtile entre l’homme public et le père intime illustre bien la façon dont Valentin a appris à se construire : en choisissant ce qu’il voulait garder, en écartant ce qui pouvait nuire, et en préservant l’essence de ce que Montand représentait pour lui.
Grandir avec un père célèbre n’est jamais simple. Le nom « Montand » ouvre certaines portes, mais il impose aussi des attentes et des comparaisons permanentes. Valentin, en choisissant un domaine créatif mais éloigné du cinéma et de la chanson, a su tracer sa propre route.
Sa carrière dans le jeu vidéo n’est pas un rejet de l’héritage paternel, mais plutôt une réinvention de celui-ci. Dans les univers virtuels qu’il contribue à créer, il y a sans doute quelque chose de la précision d’un comédien, de l’exigence d’un interprète, de la rigueur d’un artiste habitué à travailler chaque détail.
Les conversations qu’il a eues avec ceux qui ont connu Montand lui ont également appris à accepter ses contradictions. L’acteur-chanteur, immense figure publique, pouvait être tour à tour chaleureux et distant, jovial et mélancolique, sûr de lui et traversé de doutes. Mais c’est précisément dans ces nuances que Valentin trouve l’humanité qui nourrit son propre rapport à la vie et au travail.
La relation entre Montand et son fils a été marquée par un temps relativement court – Montand est décédé en 1991, alors que Valentin n’avait que quelques années – mais ce laps de temps a suffi à semer des graines durables. La mémoire familiale, les films, les récits des proches ont complété le puzzle, permettant à Valentin de continuer à dialoguer symboliquement avec son père.
Aujourd’hui, dans ses projets professionnels, Valentin ne cherche pas à imiter Montand, mais il reconnaît que certaines valeurs lui viennent directement de lui : l’exigence, le respect du travail bien fait, la conviction que la créativité doit toujours s’accompagner d’un engagement personnel.
« Je pense encore aujourd’hui que l’image que je me suis construite de lui est une sorte de guide », confie-t-il. Ce guide n’est pas figé ; il évolue avec le temps, les expériences, les rencontres. Mais il reste là, comme une boussole invisible.
Il y a aussi chez Valentin une conscience aiguë de ce que signifie porter un héritage public. Ne pas trahir, ne pas galvauder, mais ne pas se laisser enfermer non plus. Cette tension, il la résout en restant fidèle à lui-même, tout en honorant le souvenir de son père à travers ses choix et son attitude.
En fin de compte, l’histoire d’Yves Montand et de son fils Valentin est celle d’une transmission atypique, marquée par une paternité tardive, un temps limité, mais une empreinte profonde. C’est l’histoire d’un enfant qui, au lieu de chercher à reproduire le parcours de son père, a préféré en extraire l’essence pour l’appliquer à son propre chemin.
Et c’est aussi le récit d’un lien qui, malgré l’absence physique, continue de vivre à travers les souvenirs, les images, les mots, et cette conviction intime que le meilleur de l’héritage paternel n’est pas dans les récompenses ou les rôles, mais dans l’exemple humain qu’il laisse derrière lui.