Pour Shaker, le jour de son mariage était l’aboutissement de tous ses rêves. Propriétaire modeste mais travailleur d’une boutique d’électronique, il s’apprêtait à épouser Amarachi, une femme dont la beauté faisait tourner les têtes dans toute la ville. L’air de l’église était chargé d’attente et de joie, les invités murmuraient leur admiration pour le couple parfait. Shaker, rayonnant dans son costume, sentait son cœur battre la chamade. Rien ne pouvait gâcher ce moment. Il l’ignorait encore, mais sous le voile immaculé de sa future épouse se cachait un secret si sombre qu’il allait transformer la célébration sacrée en un champ de bataille spirituel.
Pendant que Shaker se réjouissait, l’ambiance dans la pièce où se préparait Amarachi était tout autre. La mariée était étrangement silencieuse, son regard perdu dans le vague, comme si son esprit était à des kilomètres de là. Sa mère, Madame Effima, ajustait sa robe avec des mains nerveuses, lui chuchotant un avertissement qui glaçait le sang : “Aujourd’hui, tout doit se passer sans accroc, il n’y a pas de place pour l’erreur.” Ces mots, chargés d’une signification cachée, trahissaient une anxiété bien plus profonde que les simples tracasseries d’un mariage. De son côté, le père d’Amarachi, le chef Damian, n’était préoccupé que par les apparences, désireux de montrer sa richesse et son statut. Ils étaient les gardiens d’un pacte terrible, et ce jour était celui de l’échéance.
Dans son bureau, le pasteur Ayula, l’homme qui devait unir le couple, ressentait un malaise grandissant. Une lourdeur spirituelle pesait sur lui, et une voix intérieure lui soufflait de “regarder attentivement”, car “quelque chose était caché”. Homme de foi profonde, il savait que ce sentiment n’était pas anodin. Il a prié pour la clarté, ignorant que sa foi serait bientôt mise à l’épreuve la plus spectaculaire de sa vie.
La cérémonie a commencé. Shaker, au pied de l’autel, a vu sa future femme s’avancer vers lui, magnifique mais toujours aussi distante. Le moment des vœux approchait. C’est alors qu’une voix innocente a percé le silence respectueux de l’assemblée. Une petite fille, assise au premier rang, a pointé un doigt tremblant vers la mariée et a crié : “Maman, ses yeux ! Ses yeux sont comme ceux d’un serpent !” Un frisson a parcouru l’église. Le pasteur Ayula, alerté, a posé la main sur l’épaule d’Amarachi et a vu l’impensable : pendant une fraction de seconde, les yeux de la jeune femme sont devenus jaunes, ses pupilles se fendant comme celles d’un reptile.
Le choc a été électrique. Comprenant qu’il faisait face à une force maléfique, le pasteur a immédiatement interrompu la cérémonie. Il a pris Shaker à part, le cœur lourd, pour lui expliquer ses craintes : un “esprit maléfique” habitait le corps d’Amarachi. Le marié, dévasté et confus, a refusé de le croire. Mais le pire était à venir.
De retour à l’autel, lorsque le pasteur a de nouveau demandé à Amarachi de prononcer ses vœux, la voix qui est sortie de sa bouche n’était pas la sienne. C’était un son mécanique, froid et étranger. Suivant l’instruction du pasteur, Shaker a soulevé le voile de sa fiancée. La congrégation a poussé un cri d’horreur. Les yeux d’Amarachi étaient maintenant fixés, d’un jaune éclatant, avec des pupilles de serpent. La panique a éclaté. L’entité qui possédait Amarachi a alors pris la parole, sa voix résonnant dans l’église d’une puissance ancienne et terrifiante. Elle s’est présentée comme Ewanimiri, la reine de la rivière, venue réclamer ce qui lui était dû.
Acculée, Madame Effima s’est effondrée en larmes, ses sanglots secouant tout son corps. Elle a confessé le pacte impensable qu’elle avait conclu des années auparavant. Poussée par la pauvreté et le désespoir, elle s’était rendue à la rivière et avait supplié la déesse, lui offrant “l’âme, le nom et le chemin” de sa fille Amarachi en échange de la richesse et de la prospérité pour sa famille. Le luxe dans lequel ils vivaient aujourd’hui était le prix de l’âme de leur propre enfant.
Le désespoir de Shaker s’est transformé en une détermination farouche. Face à l’entité qui se moquait de lui à travers le visage de sa bien-aimée, il a crié qu’il était prêt à se sacrifier pour elle, à prendre sa place. Ce fut le catalyseur. Le pasteur Ayula, rejoint par les diacres et toute la congrégation, a commencé une prière de délivrance d’une intensité foudroyante. Les murs de l’église semblaient vibrer sous la puissance de leur foi collective. Ils ont invoqué le sang de Jésus, brisant le pacte et ordonnant à l’esprit de quitter le corps d’Amarachi.
Le corps de la jeune femme a été secoué de convulsions violentes, se débattant contre une force invisible. La bataille spirituelle faisait rage, visible aux yeux de tous. Finalement, avec un cri strident qui n’avait rien d’humain, l’esprit a été expulsé. Amarachi s’est effondrée, inconsciente mais enfin libre.
Le mariage a été reporté, le temps de la guérison était nécessaire. Dans les jours qui ont suivi, la famille a dû affronter les conséquences de ses actes. Le chef Damian, humilié, a renoncé publiquement au pacte. Amarachi, réveillée et lucide, a trouvé dans son cœur la force de pardonner à sa mère. La véritable guérison pouvait commencer.
Un an plus tard, Shaker et Amarachi se sont de nouveau tenus devant l’autel. Cette fois, il n’y avait pas de secrets, pas d’ombres. Les yeux d’Amarachi brillaient d’amour et de liberté. Leur union, forgée dans le feu d’une épreuve spirituelle, était désormais fondée sur la vérité et une dévotion qui avait prouvé qu’elle pouvait affronter les ténèbres elles-mêmes. L’église a célébré non seulement un mariage, mais une victoire de la foi, de l’amour et de la rédemption.