En 2019, le public français avait retenu son souffle lorsque Roman, la fille de Richard Bohringer, annonçait une nouvelle qui sonnait comme une délivrance : son père, atteint d’un cancer du système nerveux, était officiellement guéri.
À l’époque, cette annonce avait résonné comme un véritable miracle. L’acteur, connu pour sa voix rocailleuse, son charisme magnétique et ses excès de vie, venait de traverser une épreuve qui aurait pu lui être fatale. « C’est un sacré combattant », confiait Roman dans les colonnes des journaux. « C’était un gros coup dur, ce cancer, mais il s’en est sorti assez miraculeusement. »
Les admirateurs de l’acteur, bouleversés par ses aveux de fragilité, avaient retrouvé l’espoir en découvrant qu’il continuait à se battre avec la même intensité qu’il avait toujours mise dans ses rôles et dans sa vie.
Aujourd’hui, en 2025, la situation a évolué. Richard Bohringer a 83 ans. Le temps a fait son œuvre, inévitablement. Les années se sont accumulées, marquant son corps et ralentissant ses gestes. Mais malgré la vieillesse, malgré les souvenirs parfois trop lourds et les excès d’une existence tumultueuse, il est toujours là, debout, présent, fidèle à lui-même.
Sa fille Roman, désormais âgée de 52 ans, donne régulièrement des nouvelles de son père. Avec une sincérité désarmante, elle confie que son état est celui d’un homme qui a eu une vie « riche, remplie et assez dissolue ». Derrière ces mots, on devine à la fois la tendresse d’une fille et la lucidité d’une femme qui a vu son père traverser l’ombre comme la lumière.
Car Richard Bohringer n’a jamais fait semblant. Acteur de cinéma et de théâtre, écrivain, chanteur à ses heures, il a mené une vie d’artiste avec tout ce que cela suppose d’intensité, de passions, mais aussi d’excès. Sa voix grave et singulière, que beaucoup comparent à un râle venu du fond des tripes, est restée son arme la plus fidèle. Même affaibli, même vieilli, il continue d’impressionner lorsqu’il parle ou lit quelques lignes de poésie.
« Sa voix est encore là », assure Roman, comme si cette empreinte sonore suffisait à prouver qu’il demeure vivant dans le cœur de ceux qui l’aiment. Mais elle ajoute, non sans émotion : « La vieillesse également. » Cette phrase dit tout. Elle rappelle que même les plus grands, même les plus forts, finissent par plier devant l’inévitable passage du temps.
Pourtant, Bohringer n’est pas un vieillard isolé ni brisé. Il est entouré. Sa femme veille sur lui, présence discrète mais précieuse. Ses enfants, en particulier Roman, continuent de le célébrer, de l’accompagner, de porter haut son héritage artistique.
Il n’est pas rare qu’elle évoque les souvenirs d’un père qui a toujours vécu comme sur une scène, oscillant entre fulgurances créatives et zones d’ombre. Dans ses propos transparaît une admiration immense, mais aussi une forme d’apaisement : savoir qu’il est encore là, malgré tout, est déjà une victoire.
Au fond, l’histoire de Richard Bohringer ressemble à un roman. Né en 1941, il a connu la gloire dans les années 1980 et 1990, grâce à des films devenus cultes et à des rôles taillés pour lui, mélange de rudesse et de fragilité. Sa carrière fut jalonnée de prix prestigieux, dont le César du meilleur acteur en 1985 pour L’Addition. Mais au-delà des récompenses, c’est son aura qui a marqué les esprits.
Bohringer, c’était le visage d’une époque, celui d’un homme qui ne craignait pas de se brûler les ailes, quitte à tomber. Dans ses interviews, il parlait volontiers de ses démons : la drogue, l’alcool, les nuits sans fin, les amours chaotiques. « Dissolue » est sans doute le mot juste, et c’est celui que sa fille choisit aujourd’hui. Mais derrière la dissolution, il y avait une intensité rare, une soif d’absolu qui a nourri son art.
Sa maladie, survenue bien plus tard, a agi comme un révélateur. Face à la mort, Bohringer a dû ralentir, accepter sa vulnérabilité, se laisser soigner et entourer. Cette expérience a bouleversé son entourage, mais elle lui a offert, paradoxalement, une forme de renaissance. Son combat contre le cancer a rappelé à tous qu’il était d’abord un survivant.
Chaque apparition publique, chaque mot prononcé en après-coup avait la valeur d’un témoignage. Comme s’il revenait d’un long voyage, Bohringer parlait avec une intensité nouvelle, consciente que chaque instant comptait.
Aujourd’hui, à 83 ans, il ne joue plus vraiment. Ses projets artistiques sont rares, ses forces limitées. Mais son héritage demeure immense. Dans les festivals, dans les hommages qui lui sont rendus, dans les récits de ceux qui ont croisé sa route, son empreinte est indélébile. Roman, en évoquant son père, ne cherche pas à masquer la réalité. Elle n’idéalise pas l’homme, elle raconte simplement le père tel qu’il est : un homme cabossé, usé, mais toujours habité par cette étincelle qui a fait de lui un artiste unique.
On peut voir dans cette transparence une leçon de vie. Parler de la vieillesse sans fard, sans détour, c’est accepter que l’existence est faite de combats, de victoires, mais aussi de renoncements. Richard Bohringer a survécu à la maladie, il survit à ses excès, il survit au temps. Et tant qu’il est là, tant que sa voix résonne encore, tant que ses proches l’aiment et l’accompagnent, il demeure ce « sacré combattant » que Roman décrivait déjà en 2019.