Anémone, mère malgré elle : une vie entre regrets, devoirs et réconciliation tardive
Plus de trois ans et demi après sa disparition, le 30 avril 2019, Anémone – de son vrai nom Anne Bourguignon – reste profondément ancrée dans la mémoire collective des Français. Star incontournable du cinéma comique des années 1980, elle a su faire rire des millions de spectateurs dans des films devenus cultes comme Le Père Noël est une ordure ou Le Grand Chemin. Pourtant, derrière l’humour mordant de ses rôles, se cachait une femme blessée, en décalage avec les conventions, et surtout, une mère marquée par un immense tiraillement intérieur.
Dans la sphère privée, Anémone ne faisait pas rire. Au contraire, ses propos sur la maternité ont souvent choqué. Elle n’a jamais caché que la naissance de son premier enfant n’était pas un choix pleinement assumé. Lors d’une interview donnée à Philippe Vandel, elle avait déclaré sans détour : « Je n’ai admis que j’étais enceinte qu’après qu’il soit trop tard pour avorter. C’est pour ça que j’ai gardé mon fils. » Des mots durs, déstabilisants, mais à son image : sincères, bruts, sans maquillage.
Elle s’appelait Anne Bourguignon, mais le public la connaissait sous le nom d’Anémone. C’est sous ce pseudonyme qu’elle a dû apprendre à vivre avec un rôle qu’elle n’avait pas voulu : celui de mère. Une fois son fils Jacob venu au monde, elle a tenté de construire un semblant de structure familiale, plus par devoir que par désir profond. « C’est quand même plus simple avec un père », confiait-elle. Elle avait alors « avisé » le premier homme qui semblait avoir le profil pour assumer cette fonction paternelle. Il accepta, à une condition : avoir un enfant à lui aussi. Et elle céda. Avec une résignation glaçante, elle lâcha ces mots : « Maintenant que ma vie est foutue, un ou deux, c’est bien pareil. »
Une phrase brutale, presque insoutenable pour quiconque est parent, mais révélatrice du profond mal-être qu’Anémone a porté toute sa vie. De son propre aveu, elle ne s’est jamais sentie faite pour être mère. Ce rôle, elle l’a toujours vécu comme un poids, un empêchement, une entrave à sa liberté. Elle a souvent répété : « Si je n’avais pas eu d’enfants, j’aurais été beaucoup plus heureuse. »
Et pourtant, dans ce tumulte intérieur, elle n’a jamais cessé d’être une femme de devoir. Elle l’affirmait elle-même : « J’ai fait mon maximum, je me suis appliquée. Je suis une femme de devoir, vraiment. » Elle ne fuyait pas ses responsabilités. Elle élevait ses enfants avec sérieux, elle s’occupait d’eux, elle faisait tout pour leur offrir une vie stable. Mais le cœur n’y était pas toujours. L’instinct maternel, tel qu’il est idéalisé, ne semblait pas habiter cette femme anticonformiste, allergique aux injonctions sociales.
Cette maternité imposée – ou du moins non choisie pleinement – a laissé des traces. Son fils Jacob, confronté dès son plus jeune âge à des mots durs, à des vérités trop crues, aurait connu un sentiment de rejet, d’incompréhension, voire de douleur indicible. Il faut imaginer l’effet que peuvent produire sur un enfant de telles déclarations venant de sa propre mère. Et pourtant, c’est sans haine que la relation a évolué, lentement, difficilement, mais sans rupture définitive.
À mesure que les années passaient, Anémone s’est adoucie. La vieillesse, la distance avec les tumultes de la vie active, l’isolement choisi à la campagne… tout cela l’a amenée à revoir certains de ses jugements. Et surtout, un événement a bouleversé sa vision de la maternité : la naissance de sa petite-fille, Nana.
Avec Nana, Anémone a trouvé une forme de paix. Elle est devenue une grand-mère affectueuse, attentive, presque douce – une facette de sa personnalité que peu soupçonnaient. Cette petite-fille est venue combler un vide qu’elle n’avait peut-être même pas identifié jusque-là. Elle a redonné un sens à la transmission, à la tendresse, à l’attachement. Peut-être aussi lui a-t-elle offert une seconde chance, celle de réparer, symboliquement, ce qu’elle n’avait pas su donner à ses propres enfants.
Mais le temps, malheureusement, ne se rattrape jamais vraiment. Ce qu’on n’a pas pu offrir à ses enfants ne peut être totalement effacé, même par l’amour porté aux petits-enfants. Anémone en avait conscience. Elle n’a jamais cherché à se faire passer pour une mère idéale ou une femme exemplaire. Elle assumait ses zones d’ombre, ses regrets, ses contradictions.
Aujourd’hui encore, ses paroles résonnent avec une force troublante. Elles mettent en lumière un sujet encore tabou : celui du regret d’être parent. Un sentiment que beaucoup taisent, de peur d’être jugés. Anémone, en en parlant ouvertement, a peut-être involontairement ouvert une brèche dans un mur de silence. Elle a donné une voix à celles et ceux qui, sans cesser d’aimer leurs enfants, peuvent se sentir étouffés par leur rôle.
Anémone n’était ni une sainte, ni une mère indigne. Elle était humaine. Terriblement humaine.