Il était le roi du dimanche, l’homme qui entrait dans tous les foyers français avec son sourire malicieux et sa bonne humeur contagieuse. Jacques Martin, l’animateur emblématique de “L’École des fans”, a marqué plusieurs générations de téléspectateurs. Mais derrière l’image publique de l’homme de télévision à succès se cachait une âme tourmentée, un homme aux multiples facettes dont la vie fut un mélange de triomphes éclatants et de drames personnels.
Né en 1933 à Lyon, Jacques Martin a connu une enfance difficile qui le marquera à jamais. Fils d’un industriel et d’une mère au foyer, il est envoyé dès son plus jeune âge dans un pensionnat jésuite. Une expérience traumatisante qu’il décrira plus tard comme une “prison”. Loin de l’affection de ses parents, il se forge une carapace pour survivre à la solitude et à la discipline de fer de l’établissement. La mort de son père et le remariage de sa mère ne feront qu’accentuer ce sentiment d’abandon. C’est dans ce contexte qu’il développe un besoin insatiable de reconnaissance et d’amour, qui sera le moteur de sa carrière.
Après des débuts difficiles, il monte à Paris pour tenter sa chance dans le monde du spectacle. Il écume les cabarets, où son talent de comédien et de chanteur commence à se faire remarquer. C’est à la télévision, dans les années 60, qu’il connaît ses premiers succès. Avec son complice de toujours, Jean Yanne, il forme un duo impertinent et provocateur qui bouscule les codes de l’époque. Leur émission “1 = 3” est un véritable ovni télévisuel, mêlant humour absurde, parodies et critiques acerbes de la société. Le public adore, la censure un peu moins.
Mais c’est dans les années 70 que Jacques Martin devient une véritable star. Avec “Le Petit Rapporteur”, il invente une nouvelle forme de journalisme satirique, entouré d’une bande de chroniqueurs talentueux comme Pierre Desproges et Daniel Prévost. L’émission est un succès phénoménal, mais elle lui vaut aussi de nombreuses inimitiés. Son humour corrosif et son indépendance d’esprit dérangent. Il est finalement remercié, mais rebondit rapidement sur Antenne 2, où il deviendra le maître incontesté des après-midis dominicaux.
Pendant près de vingt ans, il enchaîne les succès avec des émissions comme “Thé dansant”, “Ainsi font, font, font” et bien sûr, la cultissime “École des fans”. Le concept est simple : des enfants viennent chanter les succès de leurs idoles, accompagnés par un orchestre. Jacques Martin, avec sa bienveillance et son sens de la répartie, excelle dans cet exercice. Il devient le “tonton” préféré des Français, celui qui sait parler aux enfants et faire ressortir le meilleur d’eux-mêmes. Des millions de téléspectateurs sont au rendez-vous chaque semaine, faisant de lui l’un des animateurs les plus populaires et les plus puissants du paysage audiovisuel français.
Mais si le succès professionnel est au rendez-vous, sa vie personnelle est beaucoup plus chaotique. Homme à femmes, il collectionne les conquêtes et les mariages. De Marion Game à Danièle Évenou, en passant par Cécilia Ciganer-Albeniz (future épouse de Nicolas Sarkozy), sa vie amoureuse est un véritable roman. Des relations passionnées, mais souvent tumultueuses, qui se terminent dans la douleur. Ces ruptures le laissent à chaque fois un peu plus abîmé, lui qui n’a jamais réussi à combler le vide affectif de son enfance.
Car derrière le masque de l’animateur jovial se cache un homme en proie au doute et à la mélancolie. Son plus grand regret restera de ne pas avoir réussi à percer au cinéma. Lui qui rêvait d’être un grand acteur, à l’image de ses idoles, n’obtiendra que des seconds rôles. Une frustration qui le rongera toute sa vie. Il se sentira toujours en décalage avec le milieu du cinéma, qui le considère comme un simple animateur de télévision.
La fin de sa carrière sera brutale. En 1998, il est victime d’un accident vasculaire cérébral qui le laisse hémiplégique. Du jour au lendemain, l’homme qui a fait rire la France entière se retrouve diminué, prisonnier de son corps. Il est contraint d’arrêter la télévision et de se retirer de la vie publique. C’est le début d’une longue et lente descente aux enfers. Isolé dans sa maison de Biarritz, il voit peu à peu ses amis s’éloigner. Lui qui a tant aimé être entouré se retrouve seul face à la maladie et à la dépression.
Il s’éteindra en 2007, à l’âge de 74 ans, laissant derrière lui l’image d’un homme complexe et attachant, qui aura marqué à jamais l’histoire de la télévision française. Jacques Martin, l’empereur du dimanche, aura finalement passé sa vie à chercher l’amour et la reconnaissance, sans jamais vraiment les trouver.