Il y a des moments de télévision qui restent gravés dans les mémoires, des instants de grâce où l’humour, l’impertinence et la surprise se conjuguent pour créer une séquence culte. Le passage de Jonathan Lambert en tatoueur déjanté sur le plateau de “On n’est pas couché” fait incontestablement partie de cette catégorie.
Ce soir-là, armé de piercings factices, d’une perruque improbable et d’un aplomb à toute épreuve, le comédien n’est pas seulement venu faire un sketch ; il est venu dynamiter les codes de l’interview polie pour offrir un miroir grossissant et hilarant des personnalités présentes, avec en ligne de mire une Hélène Ségara hilare et un Eric Zemmour imaginairement encré de la tête aux pieds.
Dès son entrée, le ton est donné. Jonathan Lambert n’incarne pas un personnage, il est le personnage. Son tatoueur, stéréotype ambulant du rebelle couvert d’encre, n’a aucun filtre, aucun respect pour l’étiquette. Il s’adresse aux invités comme s’ils étaient de vieux clients dont il connaît les secrets les plus honteux. Et sa première cible, c’est Hélène Ségara. La chanteuse à la voix d’or et à l’image si lisse va voir son passé revisité et corrigé par la fantaisie débridée du comédien.
La première salve est aussi absurde que géniale. Le tatoueur raconte une anecdote prétendument authentique : une jeune Hélène, ambitieuse, aurait tendu son chewing-gum mâché à un ami en lui prédisant qu’il vaudrait de l’or une fois qu’elle serait célèbre.
Hélène Ségara, entre le rire et la gêne, est obligée de jouer le jeu, admettant du bout des lèvres qu’il s’agissait d’une blague. Mais Lambert ne lâche pas sa proie. Il enchaîne, révélant la “carrière secrète” de la star dans le métro, non pas pour l’argent, mais pour “faire peur aux gens”. L’image est si saugrenue qu’elle déclenche l’hilarité générale.
Le clou du spectacle arrive avec l’histoire de l’agression dans le métro. Le faux tatoueur dépeint une scène où Hélène, menacée, aurait voulu se défendre avec une bombe lacrymogène mais aurait sorti par erreur… un déodorant. Le public exulte, et le plus beau, c’est que l’anecdote est vraie !
Hélène Ségara elle-même, pleurant de rire, confirme cette histoire improbable, ajoutant une couche de vérité surréaliste à la fiction comique. C’est là tout le génie de Lambert : brouiller les pistes entre le vrai et le faux, pousser ses “victimes” à l’autodérision, et transformer un souvenir potentiellement angoissant en une farce monumentale.
Mais le comédien ne se contente pas de raconter, il “montre”. Il prétend être le tatoueur officiel des stars et présente ses “œuvres”. Il aurait ainsi tatoué une “sainte vierge” dans le dos d’Hélène Ségara, mais une faute de frappe aurait transformé le message pieux en “cinq verges”, qu’il aurait dû péniblement corriger. Le public est conquis, mais ce n’est rien comparé au plat de résistance : les tatouages d’Eric Zemmour.
Le sketch bascule alors dans le pur délire politique. Jonathan Lambert affirme avoir fait du polémiste sa toile personnelle. Sur l’écran apparaissent des photos-montages grossiers et hilarants : Zemmour torse nu, couvert d’un immense dragon, du portrait du Général de Gaulle, du sigle “UMP Forever” et, en guise de cerise sur le gâteau, d’un provocateur “Fuck the féminisme”. C’est un coup de maître.
En quelques secondes, Lambert désarme par le rire toutes les postures idéologiques du chroniqueur. Il ne le caricature pas en le faisant parler, mais en l’imaginant décoré des symboles les plus outranciers de sa propre pensée. Le rire devient une arme de subversion douce, et même les plus fervents détracteurs de Zemmour ne peuvent qu’applaudir la performance.
La force du sketch réside dans cette escalade permanente, cette capacité à aller toujours plus loin dans l’absurde tout en gardant une connexion avec la personnalité des invités. Chaque “révélation” est une vanne parfaitement ciselée qui joue sur l’image publique des uns et des autres. Laurent Ruquier, Laurent Baffie, tout le monde en prend pour son grade, mais toujours avec une intelligence qui désamorce toute méchanceté.
Le final est à l’image du reste : un mélange de narcissisme parodique et de promotion habile. Jonathan Lambert retire son t-shirt pour dévoiler un immense tatouage dans son dos, une publicité pour son propre spectacle au Bataclan. La boucle est bouclée. Le faux tatoueur des stars se révèle être le meilleur agent de sa propre image.
Ce soir-là, Jonathan Lambert n’a pas seulement fait rire. Il a offert une leçon de comédie, montrant comment l’humour peut, en quelques minutes, gratter le vernis des célébrités, révéler leurs failles et leur humanité, et surtout, créer un moment de communion rare où les rires fusent de toutes parts, sans distinction d’opinions ou de chapelles. Un sketch devenu un classique, qui nous rappelle que parfois, la meilleure façon de dire la vérité est de passer par le plus gros des mensonges.