Le jeudi 7 août restera une journée sombre pour tous ceux qui ont connu et apprécié la voix posée, le ton mesuré et la culture foisonnante de François Chalin. Ce jour-là, comme à son habitude lorsqu’il séjournait en Bretagne, il s’était rendu avec son épouse sur la plage du Crapaud, à La Niltude, dans le Finistère.
Le ciel était légèrement voilé, une brise fraîche venait du large, et les vagues déroulaient leur mouvement régulier contre le sable blond. François, fidèle à ses habitudes de vacances, avait pris le temps de contempler la mer avant de s’y aventurer pour une baignade matinale.
Architecte de renom, mais aussi figure familière des ondes de France Culture depuis les années 1980, il avait su, au fil de sa carrière, mêler rigueur intellectuelle et sensibilité artistique. Sa voix grave et apaisante avait accompagné plusieurs générations d’auditeurs, qu’il s’agisse de conférences sur l’urbanisme, de chroniques sur l’histoire de l’architecture, ou encore d’émissions plus intimistes où il laissait transparaître sa passion pour les lieux et les histoires qu’ils racontent.
Ce 7 août, la mer était relativement calme. François s’était enfoncé dans l’eau fraîche avec prudence, comme toujours. Il n’était pas du genre à prendre des risques, conscient de l’importance de respecter les éléments. Pourtant, quelques minutes après avoir commencé à nager, il ressentit un malaise soudain. Ses mouvements se firent plus lents, son souffle plus court. Par un effort de volonté, il parvint à regagner la rive, ses pieds trouvant enfin le contact rassurant du sable. Mais à peine avait-il atteint la plage qu’il s’effondra.
Son épouse, sous le choc, appela immédiatement à l’aide. Un passant, témoin de la scène, se précipita pour tenter de le réanimer. Les gestes de secours furent appliqués avec détermination, mais l’état de François se dégrada rapidement. Lorsque les équipes de secours arrivèrent sur place, il était déjà trop tard. Le décès fut constaté sur la plage, dans ce décor marin qu’il aimait tant.
La nouvelle se répandit vite, d’abord dans le petit cercle de ses proches et de ses amis, puis dans le monde de l’architecture et des médias culturels. France Culture, où François avait collaboré pendant près de quatre décennies, lui rendit un hommage sobre mais émouvant. Les producteurs, journalistes et techniciens se souvenaient tous de son professionnalisme, de sa curiosité insatiable et de son extrême bienveillance.
Né dans les années 1950, François Chalin avait grandi dans une famille sensible aux arts et à la culture. Dès l’adolescence, il avait manifesté un goût prononcé pour le dessin, la perspective et l’analyse des formes architecturales.
Diplômé de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, section architecture, il avait mené une carrière double : celle d’un architecte engagé dans la conception de bâtiments publics respectueux de l’environnement et celle d’un passeur de savoirs, capable de rendre accessible au grand public des notions parfois complexes.
Son entrée à France Culture, au début des années 1980, avait été presque un hasard. Invité pour une série d’émissions sur l’urbanisme contemporain, il avait séduit les auditeurs par sa capacité à raconter la ville comme une histoire vivante, faite de rencontres, de mémoire et d’innovation. Par la suite, il devint une voix régulière, animant ou intervenant dans des programmes variés, toujours avec le même souci de précision et de pédagogie.
En dehors de son métier, François cultivait une vie personnelle discrète, presque secrète. Marié depuis plus de trente ans, il partageait avec son épouse un goût pour les voyages, les balades en bord de mer et la photographie. La Bretagne tenait une place particulière dans son cœur : il y retrouvait la lumière changeante, les paysages bruts et l’air iodé qui l’inspiraient depuis toujours.
Sa disparition soudaine laisse un vide immense. Pour ses amis, c’est la perte d’un compagnon de route, toujours prêt à écouter et à encourager. Pour ses collègues, c’est celle d’un professionnel rare, capable de conjuguer exigence et humanité. Pour ses auditeurs, c’est la fin d’un rendez-vous intellectuel et sensible, où la parole se faisait espace de réflexion.
Les hommages ne se sont pas fait attendre. Architectes, urbanistes, écrivains et auditeurs anonymes ont exprimé leur gratitude pour ce qu’il avait apporté au débat public sur la ville et sur notre rapport aux lieux que nous habitons. Certains rappelaient sa devise officieuse, qu’il répétait souvent : « Comprendre un bâtiment, c’est comprendre ceux qui l’ont pensé et ceux qui le vivent. »
En Bretagne, sur cette même plage du Crapaud, quelques proches se sont réunis quelques jours après le drame. Ils ont déposé des fleurs blanches à l’endroit où il s’était effondré, comme un dernier geste de tendresse et de mémoire. Le bruit des vagues recouvrait leurs paroles, mais chacun portait en soi une image précise de François : celle d’un homme debout, curieux de tout, et profondément respectueux du monde.
Il est rare qu’une voix radiophonique devienne, au fil du temps, une présence presque familiale. François Chalin avait ce don. Il ne cherchait pas la lumière des plateaux télévisés, préférant le rythme feutré des studios, où la pensée se déploie sans bruit. Il nous laisse une œuvre bâtie autant de mots que de pierres, et une leçon de vie : celle de la modestie et de la passion partagée.