En 2019, le monde du cinéma français perdait l’une de ses figures les plus singulières et attachantes : Anémone. Actrice inoubliable, membre emblématique de la troupe du Splendid, elle avait marqué le public par son humour décalé, sa fantaisie et cette sensibilité particulière qui transparaissait derrière son regard rieur.
Sa disparition laissait derrière elle de nombreux souvenirs, des films devenus cultes, et surtout un fils, Jacob, qu’elle avait élevé avec une affection immense, mais dont l’histoire familiale restait, pour beaucoup, entourée de zones d’ombre.
Pendant longtemps, l’identité du père biologique de Jacob fut l’objet de rumeurs et de spéculations, sans qu’aucune certitude ne vienne confirmer ou infirmer les hypothèses. Anémone, dans sa franchise coutumière, n’avait jamais nié que la question demeurait ouverte.
Elle avait même confié à son fils qu’elle pensait que son père pourrait être Pascal Aubier, un cinéaste de la Nouvelle Vague, figure discrète mais respectée du septième art français. Toutefois, dans le même souffle, elle ajoutait toujours que la possibilité existait également que son père soit un Américain rencontré dans une autre période de sa vie.
Cette ambiguïté, Jacob l’a vécue non pas comme un manque, mais comme une sorte d’énigme intime qui l’accompagnait au fil des ans. « Pascal et moi, nous nous ressemblions », confiera-t-il plus tard, non sans humour. Cette ressemblance, il aimait en rire avec sa mère ; c’était un de ces secrets de famille que l’on aborde à demi-mots, dans la complicité et la tendresse, sans chercher à le résoudre à tout prix. La vie, pour Jacob, était d’abord faite de l’amour reçu, et cet amour, il l’avait trouvé pleinement auprès d’Anémone.
Mais deux ans après la disparition de l’actrice, Jacob a ressenti le besoin de mettre un terme à ce flou qui persistait. Peut-être était-ce une façon de refermer une page, de boucler une histoire entamée bien avant sa naissance. C’est ainsi qu’il entreprit de faire des tests ADN, non pas dans l’espoir de combler un vide affectif — il avait été aimé et élevé par un père de cœur — mais pour confirmer ou infirmer cette intuition maternelle. Le résultat ne laissa aucun doute : Pascal Aubier était bel et bien son père biologique.
Cette révélation, Jacob l’a partagée publiquement, avec simplicité, comme pour rendre justice à la vérité. Il expliqua que sa mère ne lui avait jamais menti ; elle lui avait simplement transmis ses propres incertitudes, ses propres intuitions.
Dans ses mots transparaissait une profonde gratitude envers celle qui l’avait mis au monde et envers l’homme qui l’avait élevé : Philippe Galland. Ce dernier était entré dans la vie d’Anémone alors qu’elle était enceinte de six mois. Leur relation avait débuté dans ce contexte particulier, et Philippe avait assumé pleinement son rôle auprès de Jacob, lui offrant la stabilité et la présence d’un père.
Philippe Galland et Jacob ont ainsi construit une relation solide, qui dépassait les liens biologiques. Dans les faits, c’est lui qui l’a accompagné dans son enfance, ses études, ses choix de vie. Le lien de sang avec Pascal Aubier ne changeait en rien la reconnaissance que Jacob éprouvait pour cet homme. Mais apprendre que son intuition — et celle de sa mère — était juste, a donné un sens nouveau à certaines ressemblances physiques, à certaines affinités artistiques qu’il portait en lui sans toujours en connaître la source.
Pascal Aubier, pour sa part, était un réalisateur, scénariste et acteur associé à l’élan créatif de la Nouvelle Vague. Né en 1942, il avait côtoyé de grands noms du cinéma français et avait construit une œuvre discrète mais marquante, souvent nourrie d’expérimentations et de liberté artistique.
Sa carrière, moins médiatisée que celle de ses contemporains les plus célèbres, témoignait d’un esprit indépendant, refusant les codes imposés pour privilégier une vision personnelle du cinéma. Il s’était éteint le samedi 5 avril, à l’âge de 82 ans, emportant avec lui une part de cette histoire familiale restée longtemps secrète.
Pour Jacob, cette révélation n’avait rien d’un bouleversement violent ; elle venait plutôt comme la conclusion naturelle d’un récit commencé dans l’incertitude. C’était aussi une manière de rendre hommage à tous les visages de sa filiation : la mère fantasque et libre qui lui avait donné la vie, le père de cœur qui l’avait protégé et guidé, et ce père biologique qui, même absent, faisait partie de son héritage.
En partageant publiquement cette histoire, Jacob ne cherchait pas le sensationnel, encore moins à rouvrir des blessures ; il voulait simplement dire la vérité, telle qu’elle était. Ses mots rappelaient que la famille ne se résume pas à des liens génétiques, mais qu’elle se construit aussi dans les choix, la présence et l’amour quotidiens. Et que parfois, connaître ses origines n’efface pas le passé, mais éclaire différemment le chemin parcouru.
La disparition d’Anémone avait laissé un vide pour ceux qui l’avaient aimée et admirée. Mais dans ce vide, il restait son humour corrosif, ses prises de position sans filtre, et cette capacité rare à vivre selon ses propres règles. Aujourd’hui, à travers le témoignage de son fils, un fragment de son histoire intime se dévoile, ajoutant une nouvelle dimension à la figure publique que l’on croyait connaître.
Et au fond, cette révélation sur l’identité du père de Jacob n’est qu’un épisode de plus dans la grande aventure humaine qu’était la vie d’Anémone. Une vie où rien n’était jamais tout à fait conforme, où l’imprévu et la sincérité tenaient lieu de boussole, et où l’amour, sous toutes ses formes, trouvait toujours sa place.