Tout commence à la fin des années 50, lorsque le destin place Jacques sur le chemin de Bardot. Sur le tournage de Babette s’en va-t-en guerre, il attire l’attention de la star.
Loin des playboys exubérants qui gravitent autour d’elle, Jacques dégage une sincérité et un calme désarmants. Brigitte, au sommet de sa gloire, impose sa présence dans le film.
Le coup de foudre est scellé. Leur mariage, célébré le 18 juin 1959 à Louveciennes, déclenche une hystérie médiatique sans précédent : journalistes, fans, photographes se pressent pour apercevoir le couple.
Mais déjà, derrière la robe vichy rose de la mariée, un malaise s’installe. Bardot sourit peu, avance à pas comptés. Jacques comprend que l’amour qu’il espérait solide sera fragile.
Quelques mois plus tard, la nouvelle tombe : Brigitte est enceinte. Pour Jacques, c’est une lueur d’espoir ; pour elle, un cauchemar. L’idée même de maternité l’effraie.
Elle écrit plus tard que porter un enfant fut pour elle une contrainte et une perte de contrôle. Elle avoue même redouter l’idée de tenir un bébé dans ses bras. Pour Jacques, ces mots sont des coups de poignard : il voit la femme qu’il aime se fermer à leur enfant avant même sa naissance.
En janvier 1960, Nicolas voit le jour. Ce moment qui aurait dû souder le couple devient le point de rupture. Brigitte ne parvient pas à s’attacher à son fils ; elle se sent enfermée. Jacques, lui, prend son rôle de père à cœur, mais le fossé entre eux devient abyssal.
Elle s’éloigne, il s’accroche. La séparation est inévitable. Le divorce est prononcé peu après et, dans l’ombre des flashs, une bataille pour la garde de Nicolas s’engage. Brigitte reconnaît ne pas être faite pour être mère et laisse la garde à Jacques.
Il devient père à plein temps, mettant de côté sa carrière pour élever son fils. « La célébrité peut attendre, l’enfance non », confiera-t-il plus tard.
Les années passent. Jacques se retire des plateaux et se consacre à la peinture et au théâtre intimiste. Pour le public, il reste « l’homme de Bardot », une note en bas de page dans la biographie d’une star.
Mais il construit, loin du tumulte, une vie centrée sur son fils et sur l’art. Ses toiles sombres et introspectives témoignent de ses blessures et de sa reconstruction. Petit à petit, il se forge une réputation discrète d’artiste sincère, exposant en France, en Suisse, au Japon.
En 1996, l’équilibre fragile qu’il a bâti est violemment ébranlé. Bardot publie ses mémoires et y décrit son fils comme « la pire erreur » de sa vie. Des mots brutaux, qui blessent profondément Nicolas et atteignent Jacques au cœur.
Il choisit pourtant de ne pas répondre publiquement. Par dignité, il protège son fils du scandale et garde le silence. Ce mutisme n’est pas faiblesse : c’est une manière de refuser d’exposer leur douleur à un public avide de drames.
Au fil des décennies, Jacques mène sa vie loin des projecteurs. Il échoue dans quelques projets cinématographiques, mais trouve dans la peinture un refuge. Dans son atelier, chaque trait de pinceau devient un exutoire.
Ses œuvres ne cherchent pas à séduire ; elles disent simplement la vérité de ses émotions. En marge du monde médiatique, il construit une existence plus apaisée.
Dans les années 2000, il rencontre Makiko, photographe japonaise étrangère à l’histoire Bardot. Elle ne le voit pas comme une relique du passé, mais comme un homme à part entière.
Leur relation se construit sur la simplicité et le respect mutuel. En 2009, ils se marient discrètement à Saint-Briac-sur-Mer. Là, au bord de la mer, Jacques trouve enfin un refuge : Makiko, la peinture, le calme.
Aujourd’hui, il accepte de revenir sur son passé. Ses mots sont simples : « Brigitte n’a jamais voulu de Nicolas. C’est moi qui me suis battu pour lui. »
Pas de colère dans sa voix, seulement le poids d’une vie vécue dans l’ombre d’une légende. Il ne cherche pas la reconnaissance ; il cherche la paix. Il veut que son histoire, et surtout celle de son fils, ne soient pas réduites à une anecdote dans les livres sur Bardot.
L’histoire de Jacques Charrier est celle d’un homme qui a tout sacrifié pour préserver son fils, refusant l’abandon, préférant la présence au prestige. C’est aussi l’histoire d’une dignité silencieuse, d’une résilience qui s’exprime dans l’art plutôt que dans le scandale.
Derrière l’image figée du « mari de Bardot » se cache un père, un artiste, un homme qui a choisi l’authenticité plutôt que le spectacle. Et dans le silence de son atelier breton, il continue de peindre, non pas pour exorciser le passé, mais pour célébrer la dignité retrouvée.