“Star academy” : la télé-réalité face au cyberharcèlement toujours plus virulent des candidates et candidats
La haine en ligne vise de plus en plus les participants, comme la finaliste de la “Star ac” Ebony. Certains producteurs d’émission travaillent à renforcer la protection… tout en continuant à assurer le spectacle.
Ebony, finaliste de la « Star Academy », est la cible d’attaques racistes et misogynes en ligne depuis le début de la saison du télé-
Mis à jour le 25/01/25 : Vendredi soir, Endemol, la société de production qui produit la Star Academy, a saisi le procureur de la République de Paris.
SOS Racisme et la Maison des potes ont de leur côté indiqué avoir porté plainte « contre les vagues de haine raciste et sexiste sur les réseaux sociaux » à l’encontre de la candidate et finaliste Ebony Cham. L’Office central de lutte contre les crimes de haine est saisi.
Elle est « magnifique », « très forte »… Samedi 18 janvier, les professeurs de la Star academy ont encensé les prestations de la jeune Ebony, lors de la demi-finale du télé-crochet – qu’elle a remportée.
Depuis le début de la saison, le 12 octobre, la chanteuse impressionne par son talent. Pourtant, sur les réseaux sociaux, certains internautes utilisent d’autres qualificatifs, d’un racisme et d’un sexisme décomplexés.
À tel point que ses supporters ont dénoncé des « attaques très violentes » et qu’une pétition a été lancée pour dire « stop au racisme banalisé » dont Ebony est la cible. L’association SOS Racisme a déclaré mercredi 22 janvier avoir fait un signalement à la justice.
Depuis son retour sur TF1, la Star academy promeut bienveillance et générosité. Mais cela n’empêche pas une minorité de téléspectateurs de se lâcher sur les réseaux.
En novembre, trois « académiciens » éliminés avaient pris la parole lors d’un live Instagram, alors que certains de leurs camarades restés au château subissaient les foudres de fans mécontents : « Calmez-vous un peu sur les réseaux, s’il vous plaît. […] Même si c’est derrière l’écran, ça peut quand même faire mal », rappelaient-ils.
La multiplication des propos haineux est telle que, le 23 décembre dernier, TF1 et Endemol, la société de production (groupe Banijay), ont publié un communiqué pour préciser qu’ils « se réservent le droit d’engager toute action en justice ».
Ce n’est pas le premier recadrage… Depuis quelques années, le cyberharcèlement est un paramètre nouveau à gérer – ou pas – pour les boîtes de production.
Plus particulièrement « depuis le confinement de 2020 », précise Julien Magne, le directeur d’ALP, qui produit Koh-Lanta, « lorsque des gens désœuvrés se sont défoulés sur les réseaux. Depuis, certains internautes ont pris le pli : menaces, appels au viol, à l’agression », regrette-t-il.
« Nous conseillons aux aventuriers de déposer plainte, précise Julien Magne, et, en tant que société, nous avons fait des signalements auprès du procureur de la République. »
Selon la directrice de la communication d’ALP, certaines plaintes ont débouché à des condamnations de travaux d’intérêt général, mais d’autres ont été classées sans suite car les harceleurs n’ont pas été identifiés – le réseau social en question ayant refusé de collaborer avec la justice.
« Ces plateformes acceptent qu’en leur sein des choses inacceptables puissent se dire. On n’est pas si loin d’une zone de non droit », s
e désole Julien Magne.
Désormais, pour préparer ses aventuriers, ALP prévoit un temps de sensibilisation « sur le fonctionnement des réseaux sociaux et la manière de se prémunir en cas d’attaque », poursuit-il.
« On leur rappelle que la psychologue peut les accompagner sur ces sujets. » Il est aussi conseillé aux concurrents d’utiliser l’application Bodyguard, qui permet de filtrer les commentaires haineux.
Cette application est également proposée aux apprentis chanteurs de la Star academy, en plus du psy et de la mise à disposition d’un guide de modération.
Endemol se montre soucieux d’être un bon élève dans la lutte contre le cyberharcèlement. « Les candidates et candidats ne savent pas ce qui se dit sur les réseaux lorsqu’ils sont dans le château », rappelle Estelle Rivet, directrice de la communication et du digital pour Endemol France.
Alors, en amont, les producteurs leur demandent de désigner « un modérateur » qui va pouvoir se connecter à leurs réseaux et les alerter « si jamais il voit une montée de haine ».
« En général, c’est un membre de la famille, souvent un frère ou une sœur, détaille Estelle Rivet. Quand les candidats quittent l’émission, on est là à l’hôtel avec eux et on leur explique tout ce qu’il s’est passé en ligne. »
Des influenceurs mieux armés face au harcèlement ?
Autre initiative du programme : le 6 novembre dernier, à l’occasion de la semaine de lutte contre le harcèlement scolaire, les élèves ont reçu la visite de Justine Atlan, directrice de l’association e-Enfance, qui lutte contre les violences numériques, et de…
Brigitte Macron. Un échange lors duquel Ebony a pu évoquer le cyberharcèlement dont elle a (déjà !) fait l’expérience alors qu’elle était collégienne.
Les réseaux sociaux seraient mieux gérés par des candidats déjà rompus à l’exercice de la viralité. « On travaille avec des candidats habitués à la télé », décrit Florence Fayard, pdg de Banijay Prod, qui produit Les cinquante ou encore Les apprentis aventuriers.
« Ces influenceurs ou anciens participants d’émissions de télé-réalité connaissent les travers des réseaux autant que moi, si ce n’est mieux. En général, ils sont déjà bien armés contre ça, constate la productrice, avec un agent qui s’occupe d’eux au quotidien. »
Cela n’empêche pas ces protagonistes d’émissions d’enfermement d’être ciblés par les invectives, comme l’observe la sémiologue des médias Virginie Spies. « Certains internautes estiment que cette célébrité est acquise facilement et que, si les candidats en tirent bénéfice, ils doivent également en subir les inconvénients. Et donc le cyberharcèlement… »
Les producteurs ont une responsabilité. Lorsqu’on ne montre pas toute la réalité d’une scène, cela peut entraîner ensuite du cyberharcèlement.
Valérie Rey-Robert, essayiste
Cette maîtresse de conférences, qui a travaillé sur les liens entre réseaux sociaux et télé-réalité, pointe aussi le rôle des youtubeurs spécialisés, ou celui d’anciens candidats : en commentant en ligne l’actualité de ce monde, ils propagent rumeurs et clashs. C’est cet influenceur qui promet « des révélations » sur tel ex-concurrent avec qui il est en conflit, ou cet autre qui balance sur son ex – les candidates, misogynie oblige, étant particulièrement victimes de l’acharnement des internautes.
Certaines sociétés de productions auraient aussi une part de responsabilité dans le déclenchement d’une vague de haine. L’essayiste féministe Valérie Rey-Robert fait remarquer que « dans les émissions d’enfermement, les productions engagent souvent des personnalités fragiles, ou des hommes qui peuvent se comporter comme des salauds, car cela va faire des bonnes séquences, avec des candidates qui pleurent, qui s’énervent… »
Pour maintenir l’intérêt des téléspectateurs, des programmes ont tendance à faire correspondre leurs candidats à des stéréotypes, « le manipulateur », « la jalouse »…
ce qui peut susciter en retour l’hostilité du public sur les réseaux. Soucieux de leurs audiences, les diffuseurs et les producteurs ont tout intérêt à poster en ligne des scènes qui font réagir et attisent la curiosité… Au risque, parfois, que cela se retourne contre leurs candidats.
« Les producteurs ont une responsabilité, notamment au niveau du montage, développe Valérie Rey-Robert. Lorsqu’on ne montre pas toute la réalité d’une scène, cela peut entraîner ensuite du cyberharcèlement. »
Pour illustrer la question, l’autrice évoque un extrait de Frenchie shore (Ah ! Production), postée sur le compte X de l’émission, dans laquelle on voit une candidate transgenre, Ouryel, donner un coup de poing dans l’habitacle d’une voiture – le montage laissant entendre qu’elle s’énerve car une autre participante lui a refusé un plan à plusieurs.
Violemment conspuée sur les réseaux, insultes transphobes à l’appui, Ouryel a dû prendre la parole sur son compte TikTok, en expliquant que sa colère n’avait rien à voir avec cela et que la séquence était en réalité bien plus longue.
Que le cyberharcèlement soit le résultat de fans trop passionnés ou de blogueurs avides de buzz, reste que les plateformes rechignent à s’attaquer pleinement à la question. X a récemment décidé de supprimer une de ses principales fonctions contre le cyberharcèlement. Sur les réseaux sociaux, pour les apprentis musiciens, les lendemains ne risquent pas de chanter.