Hervé Vilard : un coming out avant l’heure, entre douleur, vérité et liberté
Dans le paysage de la chanson française, Hervé Vilard occupe une place à part. Derrière l’éternel succès de Capri, c’est fini, se cache un artiste au parcours tourmenté, un homme sensible, lucide et courageux. Plus qu’un simple chanteur de charme, il est une figure de liberté, l’un des tout premiers artistes français à avoir publiquement évoqué son homosexualité à une époque où cela relevait presque de l’interdit.
C’est au micro de Jacques Chancel, dans une émission diffusée sur France Inter, que Hervé Vilard marque un tournant. Il est alors en pleine gloire, nous sommes en 1966, l’année même où Capri, c’est fini envahit les ondes et devient un tube planétaire.
Tandis que la France s’enthousiasme pour ses ballades romantiques, personne ne s’attend à ce qu’un jeune chanteur, à la voix douce et au visage angélique, ose affirmer son homosexualité sur une radio nationale. Et pourtant, avec une désarmante simplicité, Hervé déclare : « Ma petite amie s’appelle Robert. »
Ce coming out, d’une force inouïe pour l’époque, suscite une onde de choc dans le milieu artistique et bien au-delà. À une époque où l’homosexualité reste un tabou majeur, où les artistes doivent souvent jouer un double jeu pour conserver leur public, Hervé choisit la vérité, au prix du scandale et de l’incompréhension.
Il expliquera plus tard : « J’avais beau leur dire que j’étais homosexuel, personne ne voulait l’entendre. » Une phrase révélatrice d’une époque où les réalités dérangeantes étaient souvent niées ou ignorées.
Dans les années 1950 et 60, beaucoup de chanteurs populaires sont homosexuels, mais peu osent le dire à voix haute. Dans une interview au Parisien en 2018, Hervé Vilard dresse un constat lucide : « Trenet, Claveau, Mariano, Sablon… Tous les chanteurs de charme en étaient.
Et est-ce que cela a empêché la chanson de charme d’exister ? Non. Je pense même que les chanteurs de charme sont plus doués pour l’homosexualité. » Une affirmation audacieuse, mais surtout une invitation à réconcilier l’art, le désir et l’identité, loin des stéréotypes.
Mais cette liberté affichée n’a pas été sans douleur. Derrière les projecteurs, Hervé Vilard a vécu des drames intimes profonds. L’un des plus marquants fut sans doute la perte tragique de sa compagne Consuela, une jeune femme enceinte qu’il aimait profondément et qui est morte brutalement en Amérique du Sud.
Ce deuil, vécu dans l’ombre, vient bouleverser les certitudes, forger un être écorché mais debout. Si Hervé Vilard s’identifie comme homosexuel, sa vie affective n’a jamais été enfermée dans des étiquettes, et c’est justement cette complexité qui fait de lui un artiste à part entière.
Ce mélange de fragilité, de lucidité et de liberté habite chacune de ses chansons, chacune de ses interviews. Il n’a jamais cherché à se conformer aux modèles imposés par l’industrie musicale. Il a suivi son propre chemin, parfois sinueux, souvent incompris, mais toujours guidé par une quête d’authenticité.
Aujourd’hui, à l’heure où la parole LGBTQ+ est plus libre – bien que les combats restent nombreux –, le courage de Hervé Vilard mérite d’être salué à sa juste valeur. En 1966, il ne s’agissait pas d’un simple effet d’annonce ou d’un coup de communication : c’était une déclaration intime, risquée, existentielle. Dans une société qui ostracisait les différences, il a décidé de briser le silence, d’assumer pleinement qui il était.
Ce choix n’a pas empêché sa carrière de continuer. Au contraire, Hervé Vilard a su se réinventer, explorer de nouvelles sonorités, écrire, composer, et partager avec le public des morceaux profonds, empreints de mélancolie et de vérité. Il est resté fidèle à lui-même, sans jamais céder aux pressions ou aux attentes formatées.
Aujourd’hui encore, Hervé Vilard reste une figure respectée du patrimoine musical français. Mais au-delà de l’artiste, c’est l’homme qui force l’admiration : celui qui a osé dire, celui qui a osé aimer, celui qui a osé pleurer sans se cacher.
Son témoignage continue d’inspirer des générations entières d’artistes et de jeunes en quête de vérité. Il nous rappelle que la liberté commence par le fait de s’aimer soi-même, dans toute sa singularité, et de ne pas avoir peur de l’affirmer au monde. Et qu’il n’est jamais trop tôt – ni trop tard – pour le faire.