Pierre Perret : un poète populaire entre rires et blessures

Pierre Perret fait partie de ces rares artistes capables de traverser les époques tout en conservant leur authenticité. Derrière ses chansons légères et ses jeux de mots malicieux se cache une vie riche, dense, parfois douloureuse, toujours lucide.

Né le 9 juillet 1934 à Castel-Sarrazin, dans le Tarn-et-Garonne, il grandit dans un décor digne d’un roman de Pagnol : un café tenu par ses parents, Maurice et Claudia, où les rires et les coups de gueule se mêlent dans un vacarme chaleureux.

C’est là qu’il apprend à aimer les mots, les accents chantants du Sud, les jurons colorés et la chaleur humaine.

Enfant, il connaît aussi la dureté de l’école, marquée par la violence banalisée d’un instituteur sadique. Un jour, excédée, sa mère frappe l’enseignant avec la règle de métal qui servait à le punir.

Un geste qui restera gravé dans sa mémoire. Très tôt, il développe un goût insatiable pour la musique et la scène. À 14 ans, il entre au conservatoire de Toulouse, étudie le saxophone, la diction, la déclamation.

À 19 ans, il décroche un premier prix de saxophone, mais c’est dans les cabarets parisiens qu’il va réellement trouver sa voie.

En 1956, au cabaret La Colombe, il ose présenter ses chansons aux propriétaires, qui l’encouragent à monter sur scène. L’accueil du public est immédiat et chaleureux.

Sa carrière prend son envol grâce à des rencontres décisives : Georges Brassens, Boris Vian, Eddie Barclay. Mais la route n’est pas sans embûches. Dans les années 60, ses chansons, comme Le Zizi ou Les Jolies colonies de vacances, rencontrent un succès immense, mais choquent aussi les bien-pensants.

Yvonne de Gaulle, alors Première Dame, exerce des pressions pour interdire Le Zizi à la radio. Pierre Perret subit menaces et insultes, mais garde son humour et sa détermination : « On m’a mis en cause pour la luxuriance de mon vocabulaire, mais c’était du bonheur, rien d’autre. »

En 1977, il écrit Lily, inspirée par une rencontre avec Angela Davis et par la condition des immigrés victimes de racisme. Rejetée par certaines radios, il la chante dans chacun de ses concerts, au prix parfois de refus médiatiques.

Aujourd’hui, cette chanson est enseignée dans les écoles, symbole de persévérance et de justice.

Son autobiographie Le Café du pont, publiée en 2005, se vend à plus de 100 000 exemplaires en un mois, preuve que le public reste attaché à son univers mêlant humour et tendresse.

Mais derrière l’image du chanteur espiègle se cachent des blessures profondes. Dans ses confidences tardives, il évoque l’infidélité de sa première femme, partie avec le médecin qui le soignait alors qu’il luttait contre une grave pleurésie.

Cette trahison survient dans un moment de grande fragilité : malade, affaibli, il doit se reconstruire seul. Après des mois de repos forcé, il revient sur scène, transformé.

Il rencontre ensuite Rebecca, qui deviendra son épouse et sa complice pendant plus de soixante ans. Leur union est marquée par un drame irréparable : la mort de leur fille Julie à l’âge de trente ans.

Pierre Perret en parle peu, considérant que « c’est la pire chose qui puisse arriver dans la vie de quelqu’un ». Cette douleur restera enfouie derrière ses refrains légers.

En 2009, une polémique éclate lorsque la journaliste Sophie Delassein met en doute l’authenticité de l’histoire qu’il raconte sur son ami Paul Léautaud et l’accuse de plagiat. Pierre Perret attaque en justice et gagne, considérant ce procès comme un combat pour la mémoire et la vérité.

Mais les blessures invisibles persistent. En 2019, il confie qu’il ne voit plus ses enfants ni ses petits-enfants, sans en expliquer les raisons. Une solitude discrète qui contraste avec l’image publique de l’artiste populaire.

Malgré tout, il continue à créer. En 2023, il sort Ma vieille carcasse, un album qu’il présente comme un testament en chansons. Sur scène, il reste infatigable, avec encore une vingtaine de concerts programmés, mais il annonce que ce sera sans doute la dernière tournée avant de « poser la guitare et aller à la pêche ».

Pourtant, il n’abandonnera jamais l’écriture. Sa chanson Paris saccagé provoque de vifs débats, preuve que sa plume conserve toute sa force et son mordant.

Pierre Perret, c’est plus de 500 chansons, 60 ans de carrière, des salles combles et des générations qui se transmettent ses refrains comme des trésors de famille. Mais c’est aussi un témoin du siècle, capable de faire rire, réfléchir et pleurer.

Derrière ses couplets joyeux se cachent des drames intimes, des combats pour la liberté d’expression, une lucidité parfois douloureuse. « Le plus grand fléau de la vie, c’est la lucidité », confie-t-il, comme une leçon amère tirée de son parcours.

Vieillir sans renoncer, souffrir sans se taire, aimer sans mesure : voilà ce que Pierre Perret incarne. Il est à la fois poète populaire et observateur critique de la société, tendre et irrévérencieux, fidèle à ses valeurs malgré les tempêtes.

À plus de 90 ans, il reste debout, témoin d’une époque où la chanson pouvait encore changer les cœurs. Et même si le silence finira par remplacer ses refrains sur scène, ses mots, eux, continueront de résonner longtemps.